La chasse à l’étranger

La chasse à l’étranger

Le 23 janvier 2025, le ministre de l’intérieur, M. Retailleau, publiait une nouvelle circulaire annulant celle dite « Valls » de 2012 (circulaire concernant les admissions exceptionnelles au séjour, c’est à dire la possibilité pour les étrangers « sans-papiers » de pouvoir obtenir un titre de séjour). Ce nouveau texte s’inscrit dans la logique politique mortifère qui ne cesse de restreindre les droits des étrangers.

Depuis 45 ans, une trentaine de lois sur l’immigration se sont succédé avec une accélération depuis ces vingt dernières années. Ces lois sont toujours plus répressives, en miroir de la progression de l’extrême droite, de sa représentation parlementaire comme de ses idées.
Une « pause » avait pu être obtenue en 2012, avec la circulaire « Valls » – du nom ministre en poste – ce qui a pu être arrachée au dit ministre à la suite d’un mouvement de grèves concertées de plusieurs milliers de travailleurs et travailleuses sans-papiers. Jugée, à l’époque, timorée et trop restrictive par les défenseurs des droits des étrangers, elle était qualifiée de « laxiste » par Retailleau qui vient de la rayer d’un trait de plume, reprenant ainsi le chemin du maintien des sans-papiers dans la précarité extrême.

Un demi siècle de progression exponentielle des refus de séjour, des expulsions et de l’enfermement

C’est en 1980 que le séjour irrégulier devient un motif d’expulsion. Puis la durée de rétention administrative passe petit à petit de 5 à 90 jours. 13 Centres de Rétention Administrative (CRA) voient le jour entre 1980 et 1990 et, depuis, leur nombre a doublé. La construction d’une dizaine de CRA est encore budgétée pour un montant de 240 millions d’euros d’ici à 2027 pour atteindre un nombre total de 3 000 places.
L’enfermement massif des étrangers avant leur expulsion est donc déjà actée. Après les quotas d’expulsions d’Hortefeux et Besson, celles-ci ont augmenté de 26,7% en 2024 (21 600) alors que les régularisations de sans-papiers ont elles baissé de 10% (31 250 à mettre en regard du nombre de sans-papiers estimé dans une fourchette allant de 400 000 à 700 000).

La dernière loi dite « Darmanin« 

En janvier 2024, la loi « Darmanin » pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » complexifie l’accès et le maintien du droit au séjour. Pour cela elle étend la notion de « menace à l’ordre public » (inscription au fichier du « Traitement d’Antécédents Judiciaires » (TAJ) même sans condamnation) et fait de « l’Obligation de Quitter le Territoire Français » (OQTF) une épée de Damoclès durant de nombreuses années si la personne s’est maintenue en France.
Concrètement, le caractère exécutoire de l’OQTF passe de 1 an à 3 ans avec rétroactivité pour celles délivrées avant le 26 janvier 2024. Cela signifie qu’une OQTF est un motif de refus de titre de séjour si elle a été délivrée depuis moins de 3 ans avant la date de la nouvelle demande.
Les conditions de renouvellement au bout de trois ans des cartes de séjour se durcissent quelles qu’elles soient (familiale, travail ou de plein droit). Les critères exigés « d’intégration » se multiplient. Des diplômes de langue française, évaluant le niveau à l’oral et à l’écrit, délivrés par des organismes agréés deviennent obligatoires (et payants).
Le niveau de langue exigé est au prorata de la durée de la carte de séjour : niveau fin de primaire pour une carte de 2 ou 4 ans, niveau fin de collège pour une carte de résident, et niveau fin de lycée pour la naturalisation. Autant dire que la sélection par l’écrit devient un élément redoutable. La signature d’un « contrat d’engagement à respecter les principes de la république » devient une formalité obligatoire.
Enfin, les rares protections contre l’expulsion des jeunes, des résidents de plus de 10 ans, des parents d’enfant français, des conjoints de français et des étrangers malades, sautent. Les « Interdictions de Retour sur le Territoire Français » (IRTF) s’allongent (de 3 à 5 ans ou plus) et se multiplient.
La traduction concrète de toutes ces mesures ne sera pas de faire disparaître « l’immigration illégale« . Elle n’auront qu’un effet : désigner à la vindicte publique et précariser encore plus les étrangers en France, rendant ainsi plus facile leur exploitation.

Dématérialisation et bunkérisation

Depuis le vote de la loi de 2024 et la publication de ses décrets d’application qui se sont étalés jusqu’en juillet 2024 (soit après la dissolution de l’Assemblée et avant la formation d’un nouveau gouvernement !), les pratiques des préfectures se sont modifiées.
Une IRTF, limitée auparavant, est souvent jointe à l’OQTF et les préfectures, dont les procédures sont majoritairement dématérialisées1, se sont encore plus bunkérisées. Ainsi, bien qu’il soit extrêmement difficile d’obtenir un rendez-vous en Préfecture, il est interdit d’y pénétrer sans rendez-vous pour renouveler un récépissé ou une carte de séjour (y compris les cartes de résident). Conjugué avec l’absence quasi générale de réponse aux demandes de régularisation pendant 2 ou 3 ans, ces procédures ubuesques ont des conséquences très concrètes.
Elles se traduisent par la perte de l’emploi et par l’arrêt des versements sociaux (Allocations Familiales, Aide personnalisée au logement, Allocation aux adultes handicapés, etc.) pour un nombre incalculable d’étrangers y compris en situation régulière depuis des années.
On se rappelle qu’une partie des propositions de la loi Darmanin a été retoquée par le conseil constitutionnel. Un certain nombre d’articles ont été jugés « cavaliers législatifs » notamment ceux sur le durcissement du rapprochement familial et des critères de délivrance de titres de séjours pour motifs familiaux ou de santé, l’instauration d’un délai avant de pouvoir toucher certaines prestations sociales, la restriction du droit du sol, l’exclusion des personnes sous OQTF de l’hébergement d’urgence…
Qu’à cela ne tienne, les pratiques préfectorales s’en rapprochent de fait. On pouvait penser que la coupe était pleine et que le gouvernement avait alors donné assez de gages à l’extrême droite. Que nenni !

Un cran supplémentaire un an plus tard

Un an plus tard la circulaire du 23 janvier 2025 ne se limite pas à annuler celle de 2012 qui permettait plus de 30 000 régularisations par an. Elle durcit encore les conditions de régularisation : celles-ci doivent être encore plus restrictivement accordées. L’accent est mis sur « l’intégration« , sur la preuve d’une maîtrise de la langue française justifié par un diplôme (cité plus haut), sur l’absence de toute OQTF, ou sur la notion de menace à l’ordre public, notion qui n’est définie à aucun moment, ce qui permet toutes les interprétations possibles.
Pour enfoncer le clou, toute OQTF sera systématiquement assortie d’une IRTF.
Le temps de présence en France pour postuler à la régularisation passe de 5 à 7 ans et cette épreuve de survie (sans droits) va encore faire longtemps la joie des patrons-négriers et des marchands de sommeil.
La priorité donnée à l’immigration de travail, qui correspondait en 2023 à 30% des cartes délivrées, verra donc se restreindre les régularisations au titre de la vie privée et familiale.
Une nouvelle liste des métiers en tension, non encore parue, servira de pilote aux préfets. D’ores et déjà, le patronat des secteurs de l’hôtellerie-restauration, du BTP, de l’agriculture, du nettoyage et des services à la personne qui peine à recruter s’inquiète des conséquences d’une application zélée des nouvelles directives. Face à une pénurie de main d’œuvre bon marché, faudra-t-il, comme en Italie instaurer des « Click day« 2 pour recruter à l’arrache les travailleurs étrangers hier indésirables ?

Une politique opportuniste dans le cadre d’une actualité morbide

L’arsenal réglementaire de plus en plus xénophobe ne suffit pas à ce gouvernement qui profite de toutes les occasions pour donner des gages supplémentaires à l’extrême droite.
Ainsi l’assassinat d’une jeune fille de 19 ans par un étranger sous OQTF déjà condamné et incarcéré pour viol a fait la une des journaux. Le ministre de l’intérieur en profite pour publier une circulaire en direction des préfets joliment intitulée « Renforcement du pilotage de la politique migratoire » qui leur demande d’accroître le nombre des expulsions, des refus, des retraits de titres de séjour et des non renouvellements, y compris en réexaminant les dossiers antérieurs à la loi Darmanin, afin d’y appliquer les nouvelles dispositions. Il précise qu’en ce qui concerne les mesures d’éloignement : « Elles doivent être désormais amplifiées et systématisées« .
Mi décembre le cyclone Chido s’abat sur Mayotte, le département français laissé depuis toujours dans une pauvreté à la mesure de la distance qui le sépare de la métropole. Face au désastre et à l’horreur que subit la population dans cette île, où le RN progresse à grande vitesse, les boucs émissaires sont vite désignés : les immigrés venant des îles voisines.
Le 6 février 2025, l’assemblée nationale adopte donc une proposition de loi sur le droit du sol, aggravant une modification qui avait déjà limité ce droit en 2018. Elle ne contient qu’un seul article. Pour l’accès à la nationalité française des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, la condition de séjour régulier est étendue aux deux parents (contre un seul aujourd’hui) et la durée minimale de séjour régulier exigée, au moment de la naissance de l’enfant, est portée à trois ans (contre trois mois aujourd’hui). Une proposition bien sûr soutenue par M. Darmanin qui souhaite une réforme de la constitution et qui, en plus, veut lancer un débat public sur le droit du sol !
La surenchère ne tarde pas à venir, cette fois-ci du 1er ministre Bayrou, qui en voudrait un sur la « francitude » : « ce qu’est être français« , puis reprend les termes de Zemmour et parle de « submersion migratoire« .
Or, d’après les statistiques européennes (Eurostat) la France expulse 2 fois plus que l’Espagne et trois fois plus que l’Allemagne alors que la population étrangère est stable en France depuis des années et représente de l’ordre de 10% de la population. Quand à l’immigration, elle correspond à 100 000 personnes par an, soit 0,15 % de la population.
Et maintenant une nouvelle attaque pointe son nez, qu’il va nous falloir combattre : Le droit au mariage fait l’objet d’un projet d’interdiction dans le cas d’une union avec une personne sous le coup d’une OQTF.

Réagir face à l’escalade

Aujourd’hui, il nous faut avancer des perspectives concrètes pour le combat social en général, ce qui inclus la défense des droits des travailleuses et des travailleurs étrangers.
Les préfets, nommés par le gouvernement, sont les serviteurs obligés du gouvernement. Ils ont fait montre ces dernières années d’interprétations très diverses de la précédente circulaire de 2012 appliquée de façon extrêmement différentes, voire pas du tout, selon les départements.
À ce jour Retailleau n’a pas pu modifier, dans le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA), les articles traitants de « l’admission exceptionnelle au séjour » (Articles L.435-1 à L.435-4). La valeur juridique de ces articles est supérieure à celle d’une circulaire dont l’application est laissée à l’appréciation des préfets.
Ainsi il reste un espace non négligeable pour une lutte de défense des droits des étrangers, une lutte juridique appuyée par une large mobilisation populaire pour peser sur leurs décisions. Des rassemblements et des manifestations s’organisent déjà rassemblant collectifs de sans-papiers, organisations syndicales, associations de défense des droits des êtres humains, de parents d’élèves, d’étudiants, etc.
Une question reste posée : Quelle place prendront les employeurs des TPE, PME et artisans (dont certains sont déjà organisés dans l’association « Patrons solidaires« ) dans ce mouvement ?
Aujourd’hui et pendant encore trop longtemps encore, quelle que soit la puissance et les résultats de la mobilisation, le poison distillé depuis des années par les discours fasciste et/ou réactionnaire, sur l’identité française, sur la remise en question du droit du sol et sur l’association entre délinquance et immigration, alimentera le racisme et polluera les consciences.
Les luttes pour le droit des étrangers doivent donc se combiner avec un combat idéologique défendant une perspective internationaliste et universaliste, pesant au travers des luttes sociales, sur les idées des travailleuses et des travailleurs.

  1. Voir à ce sujet le rapport de la défenseure des droits « L’administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) : une dématérialisation à l’origine d’atteintes massives aux droits des usagers » publié en novembre 2024 ↩︎
  2. Dispositif mis en place pour répondre aux besoins économiques : L’État définit des quotas d’immigration professionnelle. Les employeurs doivent formuler en ligne, à des dates précises et le jour même, leurs demandes afin d’accéder aux quotas fixés par le gouvernement. ↩︎