Vie du réseau : Déclaration politique du Réseau la Plateforme Communiste Libertaire du 12 mars 2023

Au delà du combat contre un projet de régression sociale, faire de ce mouvement une étape vers un monde nouveau débarrassé de l’exploitation.

Déclaration politique du Réseau la Plateforme Communiste Libertaire du 12 mars 2023

Préambule.

Nous ne reviendrons pas longuement sur le projet de réforme des retraites. Il n’est évidemment pas justifié par une nécessité économique liée au vieillissement de la population. D’une part les possibles difficultés de trésorerie des caisses de retraites sont d’abord liées aux politiques salariales et d’emploi des capitalistes, aux exonérations de cotisations et autres coûts que le capital fait peser sur la collectivité. Et d’autre part les projections du COR (Comité d’Orientation des Retraites) sur l’évolution de l’équilibre des caisses de retraites dans les prochaines décennies ont été dénoncées comme non scientifiques en particulier quand il fait des prévisions jusqu’en 2070.

De plus, concrètement, la question de l’équilibre des caisses de retraites ne peut se concevoir indépendamment d’une réflexion sur l’appropriation des richesses par le capital. Si aujourd’hui les caisses de retraites sont malmenées, c’est d’abord lié à la volonté du capital de s’approprier une part toujours plus importante des richesses créées par les travailleuses et les travailleurs.

Aussi, la contestation de la réforme de Macron, si elle ne s’inscrit pas dans une contestation de l’accaparement par le capital des richesses produites par le travail, manquera sa cible et risque de se laisser engluer dans les intox patronales sur leur prétendue volonté de sauvetage du système des retraites par répartition. Car contrairement à ce que le gouvernement affirme, pour la bourgeoisie, l’enjeu est d’aller vers la liquidation de tout ce qui reste de solidarité, afin de soumettre toujours plus la vie humaine à la logique du profit.

Au final, le combat pour les retraites pose implicitement la question du profit et par là même porte une remise en cause du capitalisme et une défense d’une société fondé sur la satisfaction des besoins et non pas sur la volonté d’une minorité de concentrer toujours plus le pouvoir et les richesses.

Crise de légitimité de l’état macroniste.

Macron a été réélu lors de la Présidentielle de 2022. Mais au premier tour, seuls 20,0 % des électeurs et électrices inscrites ont voté pour lui. Au second tour, seuls 38,5 % des inscrits et de inscrites ont fait le choix de voter pour lui, contre Le Pen. Il n’a été élu que par défaut, bien plus encore que la première fois. Malgré cette illégitimité manifeste, la constitution lui attribue la plénitude du pouvoir présidentiel. Cette réalité est largement ressentie.

La conséquence de l’illégitimité du président a sa traduction à l’assemblée nationale. Celle issue du second tour se retrouve ainsi fragmentée, sans majorité absolue, accentuant l’illégitimité de ce gouvernement qui ne parvient à gouverner que par des votes bloqués – article 49-3 de la Constitution à l’assemblée et 44 au Sénat – ou par des manœuvres de couloir mais jamais par un débat ouvert et démocratique. En ce sens le refus de référendum est significatif.

Dans ce contexte, le gouvernement fait clairement le choix de continuer sa stratégie de siphonner la droite. L’abandon de la réforme par points, défendues par les seuls « sociaux libéraux » constitue le marqueur de cette stratégie. Le recul à 64 ans est taillé pour plaire à la droite. De ce point de vue, Macron a fait le choix de piétiner l’ensemble des syndicats. La direction CFDT, mandatée par son précédent congrès qui a refusé toute régression supplémentaire au niveau du droit à la retraite, a ensuite été contrainte par Macron à une position « presque » intransigeante, du moins tant que les 64 ans perdureront.

Mais pour Macron, cette illégitimité n’est pas un problème. Il ne peut plus être candidat. Cette arrogance porte pourtant en elle une des clés de la massification de la contestation. Accessoirement des difficultés apparaissent pour maintenir de la cohésion du clan présidentiel, dont de nombreux membres sont inquiets face aux difficultés de leur réélection à venir. « Les gens » ont souvent horreur qu’on se moque d’eux et qu’on les traite sans aucun respect. Autant de caractéristiques du macronisme qui transparaissent de plus en plus avec ce projet de loi.

Pour nous l’enjeu est en premier lieu l’action directe des travailleurs et des travailleuses. Mais face à la situation politique instable née des législatives, une dissolution de l’Assemblée nationale reste en suspens. La question pour nous est de savoir si et à quel moment le mouvement social se saisira de cette question, en demandant la démission de tel ou tel responsable – Macron, Dussopt, le gouvernement… – ou la dissolution de l’Assemblée, voire la remise en cause de la 5ème République. Cependant, si le mouvement s’essouffle, ou si le gouvernement tente de passer en force malgré une opposition toujours forte, alors une telle exigence pourrait avoir du sens. C’est pour cela que nous avons tout intérêt à insister dès maintenant sur l’illégitimité de ce gouvernement. Et là nous ne pouvons pas ignorer que le RN se tient en embuscade, ce qui rend plus complexe toute volonté de renversement du gouvernement.

Crise sociale et écologique.

Les capitalistes ont accéléré depuis le début des années 1980 une destruction progressive et méthodique de tout ce qui avait été conquis par les luttes de la classe ouvrière à la libération, puis dans la foulée de la grève générale de 1968. Tout le système de protection sociale est mis en cause, droit à la sécurité sociale, à la protection contre le chômage, à la retraite, aux garanties apportées par le code du travail. Il en est de même pour les services publics.

Les conséquences pour le prolétariat sont massives et se mesurent par la détérioration de ses conditions de vie et de travail. L’intensification des rythmes de travail, la dépossession toujours plus grande des savoir-faire par l’intrusion de l’économie du numérique et la robotisation, la volonté de contrôle et de « normalisation » de l’organisation du travail conduisent à une dégradation massive des conditions de travail. Et la vie quotidienne, en particulier dans les quartiers populaires est percutée par la désertion massive des services publics, par l’augmentation du coût de la vie, par le dépérissement de la protection sociale, par la crise du logement conséquence de la spéculation immobilière, par la chasse aux étrangers et la volonté de faire monter le racisme au sein des classes populaires …

Quant à la crise écologique, elle devient aujourd’hui évidente. Il est devenu difficile de nier aussi bien les déséquilibres climatiques que le déclin massif de la biodiversité. D’ailleurs, surtout au sein des classes sociales populaires, la jeunesse se fait le porte-parole de ce refus de continuer à détruire les grands équilibres du vivant. Il s’exprime à tous les étages du mouvement social une rejet formel du capitalisme et une volonté de faire converger les luttes pour la justice sociale et celles pour la justice climatique. Tout l’enjeu est de transformer ces envies de convergences en véritable dynamique militante.

Dans cette situation, les tentatives de remettre en cause les avancées vers l’égalité entre les femmes et les hommes ne cessent de se multiplier, en particulier en ce qui concerne le droit des femmes à disposer de leur corps. De plus la persistance des violences faites aux femmes, dans un contexte d’un retour en force du discours masculiniste, porte atteinte à la dignité et à l’intégrité physique des femmes, mais aussi à la vie sociale dans son ensemble. Il en est de même avec une remontée de l’intolérance vis-à-vis de l’homosexualité, ou de la transsexualité. A tous les niveaux de la société la volonté d’imposer de nouveau des inégalités de genre et de s’ingérer dans l’intimité de chaque personne, rentre dans la logique d’un retour de l’ordre moral.

Le capitalisme est incapable de résoudre ces contradictions qui deviennent de plus en plus intenables. Car pour cela il sera nécessaire de remettre en cause les mécanismes permettant l’accumulation des richesses par une minorité. On ne pourra pas résoudre ni la crise sociale, ni la crise écologique sans réguler collectivement l’économie, sans la planifier, sans remettre en cause la logique du profit au profit de la satisfaction des besoins des classes populaires et donc sans mettre en œuvre une véritable révolution dans la répartition des richesses. Bref, il ne peut pas y avoir de sortie de crise qui fasse l’économie d’une socialisation des moyens de production.

Face à cette situation, des secteurs de la bourgeoisie, de plus en plus nombreux, font le choix de la solution fasciste et de l’ordre moral pour contrôler la population, à défaut d’être capables de résoudre la crise sociale et la crise écologique. Il s’agit là d’un danger mortel pour le prolétariat. C’est pourquoi, les combats contre le fascisme, pour l’égalité femmes-hommes et celui pour le droit des étrangers et des étrangères qui sont intrinsèquement liés, ne doivent pas être négligés. Les combats contre la future loi Asile Immigration, contre les mobilisations de l’extrême droite qui s’attaquent à l’accueil des réfugiés, femmes et hommes, ne sont que les deux faces d’un même combat pour la solidarité de classe et l’unité du prolétariat.

Mais au-delà des résistances quotidiennes il devient de plus en plus urgent de défendre publiquement et au sein du mouvement social une société alternative ; une société fondée sur la vieille aspiration exprimée par le slogan « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » ; une société démocratique, fraternelle, égalitaire et respectueuse de la diversité des classes sociales populaires. Ce combat idéologique pour le « socialisme » est loin d’être secondaire. Il doit nous servir, plus que jamais de porte-drapeau. Faire progresser cette idée est indispensable pour renforcer l’aspiration à la convergence des luttes, sans laquelle chaque combat isolé, même victorieux, finira par disparaître face au rouleau compresseur capitaliste.

Ce que porte potentiellement le Mouvement social.

Nous avons aussi conscience que pour faire reculer ce gouvernement de combat au service du capital, il sera nécessaire de créer un rapport de force important. Nous ne pourrons y parvenir sans obtenir une véritable convergence entre toutes les luttes sociales, dans le travail, pour un logement digne, pour les services publics, pour la protection sociale, contre toutes les discriminations et inégalités subies au sein de notre classe. Nous aurons besoin de l’implication massive dans le mouvement de la jeunesse ouvrière et pour cela une véritable convergence entre le combat social et le combat écologique sera nécessaire. Il faudra donc que la vision du droit à la retraite que nous portons soit ouverte aux autres problématiques y compris environnementales.

C’est dans un tel cadre que le mouvement pour les retraites pourra porter une remise en cause de la logique de l’exploitation capitaliste. Nous n’en déduisons pas qu’une victoire déboucherait probablement sur un écroulement de la société capitaliste. Mais ce combat pour les retraites, qu’il soit gagné ou perdu, ne doit pas en rester à une contestation superficielle d’une nouvelle régression sociale que rejette massivement l’ensemble de la société. Si les débats collectifs qui s’y mèneront s’intéressent aux mécanismes réels de ces régressions sociales, alors l’aspiration à une société de justice sociale et environnementale ne pourra que progresser et avec elle la contestation de l’organisation capitaliste.

Ne pas se tromper sur nos méthodes d’action et d’organisation de la lutte.

Nous entendons d’abord rappeler une évidence : les militantes et les militants anticapitalistes se doivent d’agir au cœur du mouvement, dans la réalité de sa diversité, dans le respect de ses rythmes et des formes d’organisation qu’il se donnera. Il est nécessaire de se débarrasser de toute prétention à être une avant-garde qui doit entraîner les masses face à leur supposée absence de conscience politique. Cela n’a jamais marché et cela finit toujours par faire le jeu de la division, de l’affaiblissement du mouvement social et de la défaite face au capital.

Être comme un poisson dans l’eau au sein du mouvement social cela ne signifie pas non plus se contenter de suivre la position moyenne. C’est par nos pratiques politiques démocratiques que nous gagnons la confiance et l’écoute de nos camarades de lutte. Et pour conserver cette confiance il est évidemment nécessaire de respecter les décisions et les rythmes collectifs, même quand ils ne nous conviennent pas. Ce n’est qu’à partir de là qu’il est possible de défendre nos idées et nos propositions. Ce n’est que dans ces conditions que les militants et les militantes anticapitalistes peuvent porter et participer à la fois des initiatives de masse et justifier des actions plus militantes de blocage de l’économie. Tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons ne doit avoir d’autre limite que la nécessité d’être compréhensible par la majorité du mouvement.

L’unité syndicale qui s’exprime dans ce mouvement est une force dont il faut se saisir, avec des distributions intersyndicales de tracts et des tournées de services, d’ateliers, de sites, mais aussi les facs, Pôle Emploi… Mais nous savons qu’elle est fondée sur un consensus mou entre les confédérations. Cette base minimale n’est pas suffisante, ni pour gagner face à Macron, ni pour progresser dans le combat pour la justice sociale et environnementale, ni pour la construction d’un monde nouveau.

Aussi, dans un tel contexte, la tâche des militantes et des militants, mais aussi de chaque travailleuse et de chaque travailleur est de construire concrètement la grève dans son entreprise, dans son secteur professionnel, dans son territoire. L’arrêt du travail ne s’improvise pas, il s’organise et il n’y a pas de recette miracle pour y parvenir. Il faut convaincre autour de soi ; organiser la solidarité et l’action collective à partir de la réalité ; se coordonner avec les entreprises du secteur ou du territoire ; soutenir le démarrage là où c’est plus compliqué. Au final il est nécessaire que chaque gréviste prenne une part active dans le mouvement.

Construire dès que possible une Assemblée Générale décisionnaire de grévistes dans son entreprise permettra de dépasser la frilosité possible du monde syndical dans l’entreprise. Une étape sera gagnée quand ces AG seront animées par un Comité de Grève, élu et révocable, représentatif des grévistes, intégrant syndiqué.es et non-syndiqué.es en présence de représentants des syndicats. C’est cette logique que doivent défendre partout les militantes et les militants anticapitalistes.

Au final, si nous n’avons aucune certitude que ce mouvement pourra bloquer le projet gouvernemental, nous entendons tout faire pour que cela advienne. Mais le succès ou la défaite ne résultera pas des décisions des directions syndicales, mais bien de la réalité de l’implication de toutes et tous dans la construction de cette grève générale nécessaire. La dynamique politique que nous porterons collectivement participera à la repolitisation du prolétariat et à réinscrire le combat pour les retraites dans une perspective de transformation sociale.

Le Réseau « La Plateforme Communiste Libertaire » appelle toutes celles et tous ceux qui veulent participer à la dynamique proposée par cette déclaration, à nous contacter en vue d’une rencontre nationale que nous pourrons organiser prochainement (contact@plateformecl.org).