En Iran, la révolte d’Ahou Daryaei
Après de longs mois de révoltes de la société iranienne contre le régime des mollahs et sa volonté de contrôler le corps des femmes pour contrôler la société toute entière, l’État théocratique iranien a semblé avoir repris le dessus. Pourtant la révolte étouffée n’est pas morte et ne redemande qu’à renaître. Malgré cela, la solidarité internationale ne semble pas être suffisamment au rendez-vous, au moins en ce qui concerne certains secteurs « de gauche ».
Le 2 novembre dernier en Iran, l’impensable s’est produit: à l’université Azad de Téhéran, une jeune femme, connue sous le nom d’Ahou Daryaei, a stupéfié le monde entier en se présentant en sous-vêtements en public sur l’esplanade de cette université. La vidéo de sa protestation a fait le tour du monde. Selon les informations disponibles, elle en serait arrivé là après avoir été prise à partie par la police des mœurs des miliciens des Bassij, qui lui auraient déchiré ses vêtements après l’avoir harcelé pour un voile « mal » porté.
On apprend qu’elle aurait 30 ans, serait étudiante doctorante en littérature française et mère de deux enfants. On n’en sait jusque là pas plus sur elle, et peu importe de toute façon. On mesure tout le courage inouï qu’il faut pour cela, pour ce pas encore jamais franchi.
Rappelons que la révolte en Iran au nom de « Femme, Vie, Liberté » a été provoquée il y a deux ans par le meurtre de Jina Mahsa Amini, là aussi pour un simple port de voile jugé mal porté. Les protestataires se faisaient désormais de plus en plus nombreuses à oser sortir à l’extérieur au grand jour sans voile.
Le mouvement avait déjà pris de l’ampleur notamment fin 2017 avec des actions comme celle de Vida Movahed qui avait brandi son foulard au bout d’une branche en public1.
Un régime hyper répressif !
Mais le courage d’Ahou Daryaei se mesure quand on connaît les méthodes de répression du régime iranien, torture, viol, meurtre… Une répression globale qui a déjà fait plus de 500 morts. Y compris, les exécuteurs des basses œuvres des mollahs n’ont même plus hésité à empoisonner l’eau d’écoles pour filles dans de nombreuses villes2.
Une seconde vidéo montre la violente arrestation d’Ahou Daryaei, lors de laquelle elle aurait subi des blessures à la tête3. Pour tenter de trouver une porte de sortie, elle a été qualifiée par le régime, comme de nombreux autres dissidentes et dissidents, de malade psychiatrique. Ce procédé classique et pitoyable est fréquent dans les régimes autoritaires pour tenter de décrédibiliser les opposants. Encore plus pitoyable : quelques heures plus tard, un homme prétendant être son mari et le père de ses enfants publie une vidéo où, en larmes, il supplie de ne pas diffuser ces images. On a appris qu’elle a finalement été relâchée le 19 novembre dernier sans poursuites… pour les mêmes motifs.
Mais les affaires récentes ne s’arrêtent pas là. Quelques jours plus tard, deux jeunes lycéennes, du noms de Aynaz Karimi et Arezou Khavari, celles-ci réfugiées afghanes, se sont suicidées, pour des questions de harcèlement liée là aussi un port jugé incorrect du voile4. Encore un peu plus tard, une jeune femme chanteuse, Parastoo Ahmadi, a été arrêtée après s’être montrée tête découverte lors d’un concert en ligne, et de plus en ayant transgressé l’interdiction de chanter en public, pour être relâchée quelques heures plus tard, suite là aussi à une mobilisation virale5. Qui sait si ces affaires ne vont pas contribuer à nouveau à relancer la révolte contre le régime, à un moment où celui-ci est déjà de plus en plus affaibli à l’extérieur après avoir perdu notamment son protectorat sur le Syrie.
Ces révoltes ressurgissent pourtant dans un contexte répressif aggravé. Le 13 décembre dernier, le gouvernement iranien annonce alourdir encore plus les sanctions contre le non port du voile, une mesure déjà annoncée l’année dernière, alors que cette loi est de plus en plus défiée au grand jour. Ce qui montre aussi que le président Pezeshkian récemment élu et présenté comme un « réformateur » n’est en réalité qu’une marionnette, pour ne pas dire une caution.
Une solidarité d’abord « à la base »
La diffusion des vidéos d’Ahou Daryaei a été immédiatement massive au niveau mondial. Manifestement leur médiatisation, et les réactions négatives généralisées que cela a créées, ont payé. Le régime iranien semble donc sensible, en particulier dans la période délicate qu’il traverse aujourd’hui, à ne pas trop donner une image déplorable. C’est ainsi que cette « affaire » rejoint les grandes causes qui ont abouti, comme celle il y a 10 ans déjà des « happy » iraniens6 ou, plus récemment en juin dernier le rappeur Toomaj Salehi qui a échappé à la peine de mort7.
Toutes tendances confondues, le monde politique occidental n’a bien sûr pas raté les occasions de récupérations hypocrites pour une cause qui ne leur coûtait rien. Chez nous, les macronistes et la droite classique tout d’abord, malgré leur complaisance envers toutes sortes d’agresseurs tels un Depardieu et malgré la présence dans leurs propres rangs par exemple d’un Darmanin contre qui a été déposé en 2017 une plainte pour viol. Le non lieu rendu dans cette affaire n’a pas convaincu les soutiens de la victime. Encore plus énorme quand on voit le prétendu soutien du gouvernement à Gisèle Pélicot et en même temps la re-nomination de ce même Darmarin au gouvernement.
Rien d’étonnant non plus de la part de l’extrême-droite, avec la réaction d’un Bardella en premier lieu. Là aussi les agresseurs ne sont pas moins nombreux. Et leurs projets régressifs concernant les droits des femmes, leur considération pour le moins sélective envers les victimes montrent que leurs soutiens aux victimes iraniennes ne relèvent que d’un opportunisme raciste, surtout quand ils s’opposent toujours à la venue des migrantes et des migrants fuyant ce même régime.
A gauche et à l’extrême-gauche, dans l’ensemble, l’information a également été très largement relayée, ce qui était pour le moins attendu… mais force est de constater que ce ne fut pas non plus systématiquement le cas. Si personne ne contestait la révolte en Iran, le traitement de cette affaire a révélé des lignes de divergence dans la gauche occidentale.
Quand l’ambiguïté pointe son nez !
Nous pourrions aussi prendre le cas emblématique de Nesrin Sotoudeh, avocate iranienne emprisonnée à de multiples reprises, dont bien peu au sein de la gauche radicale semblent s’être souciés. Il en a été ainsi le 11 mars 2019, jour où elle a été condamnée à 38 ans de prison et 148 coups de fouet pour son engagement en faveur des droits des femmes et des minorités, notamment pour avoir défendu des femmes ayant enlevé leur hijab en public. Le 12 mars 2019, le Conseil national des barreaux lance une pétition à Macron qui recueille plus de 400 000 signatures.
Le 11 août 2020, après deux ans d’emprisonnement, elle commence une grève de la faim pour obtenir la libération des prisonniers politiques dans son pays. A cause de son état de santé, et surtout de la mobilisation internationale, elle obtient des « suspensions » de quelques mois de son incarcération. Elle est de nouveau arrêtée, avec brutalité, le 29 octobre 2023 lors des funérailles d’Armita Gravand, jeune Iranienne d’origine kurde tombée dans le coma dans le métro de Téhéran le 1er octobre 2023, des suites de son interpellation par une brigade de la police des mœurs qui lui reprochait de ne pas porter le voile obligatoire.
Pour en revenir à l’affaire Ahou Daryaei, il apparaît que le désintérêt qui a pu s’exprimer a d’abord touché celles et ceux qui sont influencés par l’idéologie postmoderne8. Toute leur gène et tout leur recul face au sempiternel chantage à l’accusation d’islamophobie semble donc au cœur de ces ambiguïtés. Ainsi les sites Arrêt sur Image ou MrMondialisation ont contourné le sujet en se cachant derrière des tergiversations sur la façon dont elle serait représentée au milieu de femmes voilées. Des considérations totalement déplacées au regard de la gravité de la situation.
Mais les réactions les plus ignobles ont émané de certaines mouvances, dont les Indigènes de la République ou le site Parole d’honneur, qui ont dénoncé le soutien en prétendant qu’il n’y a là qu’un alignement derrière les objectifs impérialistes et racistes occidentaux.
Nous terminerons en citant une autre forme d’ambiguïté, celle qui consiste à mettre sur le même plan la « liberté » de se voiler et celle de ne pas le faire. Une réaction significative et remarquée, parmi d’autres, a été celle de Sandrine Rousseau. Le 3 novembre 2024 elle a osé tweeter : « Notre corps, et tout ce que l’on met – ou pas – pour le vêtir, nous appartient. Force aux Iraniennes, aux Afghanes, à toutes celles qui subissent l’oppression ». Sandrine Rousseau avait déjà été copieusement huée il y a deux ans lors d’une manifestation de soutien aux Iraniennes en lutte pour avoir déclarée que le voile pouvait être pris comme un « embellissement ». Elle a d’ailleurs été prise à partie cet automne par réseaux sociaux interposés, par Marjane Satrapi réfugiée iranienne et autrice de la bande dessinée adaptée en film d’animation Persépolis. Cette dernière lui a sévèrement rappelée l’épisode de l’embellissement9.
Que des femmes en France revendiquent la « liberté » de se voiler est une réalité, et nous avons toujours affirmé que les discriminations et parfois les violences subies ne sont pas acceptables. Toutefois cette mise en parallèle entre le droit à la dignité que revendiquent les iraniennes retirant leur voile et la revendication de femmes qui en France affichent leur volonté de le mettre est là aussi non seulement hors-sol mais totalement déplacé au regard de la gravité de la situation. Les risques terribles encourus par les iraniennes qui se dévoilent méritent de ne pas économiser notre soutien, ni de le relativiser en le comparant à des situations sans commune mesure. Il s’agit d’une faute politique et une insulte pour les Iraniennes qui subissent une répression pareille.
Le combat des Iraniennes et des Iraniens contre la domination de la théocratie sur leur vie est un combat éminemment universaliste. Un pays où les femmes sont opprimées est un pays où la liberté n’existe pas. D’ailleurs l’Iran est un pays qui réprime violemment les luttes ouvrières, bien que cet aspect de la dictature iranienne soit largement passé sous silence par les médias. Il n’en reste pas moins que face au combat féministe en Iran nous avons le devoir de manifester un soutien sans faille et sans aucune relativisation. Un combat sans « oui mais » ! « Femme, Vie, Liberté » ! Ce slogan résonne partout sur la planète et nous rappelle combien les religions, toutes les religions, sont et resteront des idéologies de la domination.
- Le mystère autour de la pionnière du mouvement contre le port obligatoire du voile ↩︎
- Des dizaines de cas d’intoxications d’écolières encore recensés ↩︎
- Vidéo d’Ahou Daryaei ↩︎
- Quand la pression du voile pousse des lycéennes au suicide en Iran ↩︎
- La chanteuse underground Parastoo Ahmadi arrêtée ↩︎
- « Happy » en Iran: les internautes se mobilisent pour le réalisateur du clip en prison ↩︎
- La Cour suprême annule la condamnation à mort du rappeur Toomaj Salehi ↩︎
- Postmodernisme, de nouveaux habits pour le capitalisme ? ↩︎
- À force de ne pas vouloir être raciste, vous jouez le jeu des fanatiques ↩︎