Politique : La composition sociologique de l’Assemblée Nationale.

Politique : La composition sociologique de l’Assemblée Nationale.

La composition sociologique de l’Assemblée Nationale comparée à la population générale, selon les données INSEE disponibles issues du recensement de 2018, démontre que cette Assemblée nationale est loin de refléter la réalité de la société contemporaine. Mais quelles peuvent être les conséquences de cette discordance ?

Les catégories socio-professionnelles définies par l’INSEE ne sont sans doute pas totalement pertinentes du point de vue des rapports de classes qui organisent le fonctionnement social et économique dans notre pays. Elles permettent tout de même de mesurer une partie de la réalité. Et de toutes façons, ce sont les seules données qui sont disponibles.

Commençons donc par décrire les différentes catégories définies par l’INSEE.

Les catégories socio-professionnelles de l’INSEE.

  • Les « agriculteurs exploitants » représentent 0,8 % de la population totale. Cette catégorie regroupe en partie des chefs d’entreprises, employant de nombreux ouvriers agricoles et en particulier des saisonniers. Ils sont très influents au sein de la FNSEA par exemple. Mais, en bien plus grand nombre, les « agriculteurs exploitants » sont de petits agriculteurs, qui sont pour l’essentiel des « travailleurs de la terre » et c’est parmi elles et eux que se recrutent les adhérents de la Confédération paysanne. Il n’existe que bien peu d’intérêts communs entre les deux fractions de cette « catégorie socio-professionnelle », profondément artificielle.
  • Les « artisans, commerçants et chefs d’entreprise » forment 3,5 % de la population totale. Très bigarrée elle aussi, cette catégorie est plus homogène politiquement, au moins du point de vue du libéralisme économique : Elle constitue le fer de lance de l’exigence d’un « liberté d’entreprendre ». Évidemment on pourrait pointer les différences d’intérêts entre petits artisans et patrons des multinationales. Mais là encore ce sont les plus riches qui mènent la danse …
  • Les « cadres et professions intellectuelles supérieures » rassemblent 9,5 % de la population française. Le sociologue Alain Bihr a qualifié cette catégorie de « classe de l’encadrement capitaliste », en démontrant qu’elle rassemble des professions intellectuelles et diplômées, ayant des intérêts et un projet politique propres, parfois sans en être conscients. Ni intégrée dans la bourgeoisie, ayant peu d’intérêts communs avec le prolétariat, cette classe sociale, qui par exemple accapare les logements en centre ville en renvoyant le prolétariat dans les zones périurbaines, constitue un maillon fondamentale de stabilité pour le capitalisme.
  • Les « professions intermédiaires », aux confins à la fois du prolétariat et de la classe de l’encadrement capitaliste, regroupe selon les critères de l’INSEE, 14,1 % de la population totale. Deux tiers de ses membres, techniciens, agents de maîtrise, occupent une position intermédiaire entre les cadres et les agents d’exécution. Les autres sont employés dans l’enseignement, la santé, le travail social … Cette catégorie, à la lisière du prolétariat, est toujours susceptible de se rassembler autour des revendications égalitaires du prolétariat.
  • Les « employés », 16,1 %, et les « ouvriers », 12,1 % de la population totale, constituent ensemble le cœur de ce que le mouvement socialiste a dénommé prolétariat.
  • Enfin deux catégories fourre-tout rassemblant près de 44 % de la population, n’ont aucune signification dans les rapports de classes : les « retraités », 26,9 %, rassemblent des membres de toutes les classes sociales, même si les prolétaires retraités, qui meurent plus tôt que les autres, y sont nécessairement proportionnellement moins nombreux qu’au sein des actifs. Quant aux « autres personnes sans activité professionnelle », 17 % de la population, elle rassemble les rentiers, les femmes au foyer, les étudiants, les titulaires du RSA, les marginaux, … Difficile d’en dire quoique ce soit … Grace à cet « artifice » les statistiques calculées par rapport à la population totale masquent fortement les rapports de classe.

Mais l’INSEE fournit aussi les statistiques calculées par rapport à la population active. Cela permet de mettre en évidence que le cumul des catégories ouvrier, employé et profession intermédiaire rassemblent 74,4 % de la population active. Et les députés, hommes et femmes, venant de ces catégories forment 13,5 % de l’assemblée. A comparer avec les cadres et les chefs d’entreprise qui forment 22,6 % de la population active et 64,6 % des élus.

Les catégories socio-professionnelles à l’Assemblée.

Comment cette classification se traduit-elle au sein de l’Assemblée nationale. Le tableau ci-dessous donne pour chaque catégorie INSEE un taux que l’on appellera ici « taux de représentation ». Ce taux est égal au « pourcentage par catégorie socioprofessionnelle des députés élus, hommes et femmes », nommé dans le tableau « % assemblée », divisé par le « pourcentage de la même catégorie dans la population totale », nommé « % population totale ».

Le tableau donne en plus le poids de chaque catégorie socio-professionnelle dans la population active, sans intérêt pour notre calcul, mais ce qui fournit une image plus parlante des réalités dans le monde du travail.

% population totale % population active % assemblée Taux de représentation
cadres et professions intellectuelles supérieures 9,5 16,6 58,4 6,1
agriculteurs exploitants 0,8 1,3 1,9 2,4
artisans, commerçants et chefs d’entreprise 3,5 6,0 6,2 1,8
professions intermédiaires 14,1 24,9 8,1 0,6
autres personnes sans activité professionnelle 17,0   8,3 0,5
retraités 26,9   11,6 0,4
employés 16,1 28,3 4,5 0,3
ouvriers 12,1 21,2 0,9 0,1

Au total l’assemblée apparaît dominée par la classe de l’encadrement capitaliste. Comme depuis des décennies, faut-il le préciser. Son taux de représentation est 61 fois plus important que celui des ouvriers « actifs », groupe social le moins bien représenté. Comment peut-on imaginer dans de telles conditions que le monde ouvrier pourra faire facilement entendre ses revendications ?

En comparaison, la sous-représentation des femmes (37,3%), pour réelle qu’elle soit, n’est pas comparable. Quant aux « minorités visibles », un comptage rapide à partir des nom et prénom des députés permet d’estimer à une trentaine le nombre d’élu et d’élues correspondantes, quand la revue Jeune Afrique estimait, en 2007, qu’ils et elles formaient entre 4 à 5 % du corps électoral – auxquels il faudrait ajouter les populations des DOM-TOM. Là encore la sous-représentation est sans commune mesure avec celle qui affecte le prolétariat, toute origine et genre confondus. Pour être plus précis, les ouvriers et ouvrières élues députées ne sont que 2 au sein de la NUPES et 3 au sein du RN.

Si maintenant on fait les mêmes calculs que ci-dessus, uniquement pour la NUPES, le résultat est le suivant :

  % population totale % élu.es NUPES Taux de représentation
cadres et professions intellectuelles supérieures 9,5 61,3 6,5
professions intermédiaires 14,1 11,3 0,8
autres personnes sans activité professionnelle 17,0 9,2 0,5
employés 16,1 7,0 0,4
artisans, commerçants et chefs d’entreprise 3,5 1,4 0,4
retraités 26,9 8,5 0,3
ouvriers 12,1 1,4 0,1
agriculteurs exploitants 0,8 0,0 0,0

Même s’il y a de petites différences par rapport à la moyenne, la domination de la classe de l’encadrement capitaliste est massive au sein des députés NUPES et même aussi importante que chez les macronistes, écrasant toutes les autres catégories socio-professionnelles.

Mais dans tous les groupes parlementaires, macronistes, fascistes, les Républicains, les membres de la classe de l’encadrement capitaliste sont partout hégémoniques.

Que déduire de cette réalité statistiques ?

Personne ne peux pas être réduit à n’être qu’un pion totalement déterminé par sa position au sein de la société inégalitaire, surtout pas un ou une députée qui a nécessairement un parcours singulier.

Le sociologue Pierre Bourdieu a toutefois montré, qu’au delà du capital économique, chaque personne acquiert un « capital culturel », un « capital symbolique » et un « capital social » et comment ces rapports à ces différents « capitaux » sont intériorisés dans le processus de socialisation. La classe sociale à laquelle nous appartenons pèse énormément sur nos relations sociales et notre capacité à établir des liens sociaux. Les sociétés inégalitaires constituent ainsi des ensembles organisés à l’intérieur desquelles chaque personne est inscrite dans des rapports qui privilégient les uns et défavorisent les autres.

Ignorer les pressions idéologiques qui s’exercent chacune et sur chacun au sein des milieux sociaux où il a grandit, a été éduqué, et où il continue de vivre, serait aussi faire preuve d’une grande illusion. L’illusion d’une liberté dans l’absolu, faisant fi des déterminismes liés à nos conditions de vie et qui pèsent sur notre façon de penser. Au final les personnes qui occupent des positions privilégiées ont toujours intérêt à maintenir leur statut et très majoritairement agiront pour cela.

La domination politique sur l’assemblée nationale par des membres de la classe de l’encadrement capitaliste a nécessairement des conséquences politiques. D’ailleurs comment ne pas voir le poids de cette classe sociale dans les dérives de plus en plus droitières qui ont affecté la gauche française depuis la victoire de Mitterrand en 1981 ?

Le programme de la NUPES apparaît très à gauche et nettement plus à l’écoute des aspirations du prolétariat, si on le compare avec les politiques de ce qu’était devenu le PS dirigé par Hollande. Aujourd’hui minoritaire à l’Assemblée Nationale, éloignée du pouvoir, la NUPES n’a pas encore de raison d’être affectée par de telles dérives.

De tout cela nous tirons deux enseignements. En premier lieu, la démocratie représentative, de par son fonctionnement réel, marginalise le prolétariat. Et rien ne permet d’imaginer qu’il pourrait en être autrement. Sauf à inventer une nouvelle démocratie organisée à partir des lieux de vie et de travail et où on débattrait, non pas de qui doit diriger, mais des mesures concrètes pour gérer la vie collective.

En second lieu, nous n’oublions pas que nous devons agir aujourd’hui dans le cadre de ce système politique. Mais nous n’oublions non plus, que si une victoire de la NUPES apparaît désirable, elle ne suffira jamais à « changer la vie ». Si le prolétariat espérait voir ses aspirations prises en compte en déléguant le pouvoir à des membres de la classe de l’encadrement capitaliste, il ne pourrait qu’être déçu. Même avec la NUPES au pouvoir, même avec Mélenchon Premier ministre, la clé du changement se trouvera dans les luttes sociales, leur capacité à imposer leur propre calendrier et des reculs importants à la bourgeoisie.