Luttes de Classes : Retraites, faisons le point sur le travail !

Luttes de Classes : Retraites, faisons le point sur le travail !

Le combat contre la retraite à 65 ans, s’il se laisse enfermer dans le carcan de l’organisation capitaliste du travail, risque de manquer sa cible. Pour que ce combat participe à la renaissance d’un espoir au sein des classes sociales exploitées, il sera nécessaire de remettre en cause, par nos revendications, la totalité de la conception libérale des rapports sociaux au travail.

Il est classique dans la gauche politique et syndicale, et ce depuis des années, de ne parler que de répartition des richesses pour aborder la défense ou l’amélioration du système des retraites. Ainsi, dans la version lutte de classe, il suffirait de répartir autrement les richesses en allant chercher de nouvelles recettes (augmentation des salaires bruts et des taux de cotisations) pour consolider les comptes de la sécurité sociale.

Dans la version réformiste, fondée sur un État providence, l’avenir des retraites passerait par une augmentation des recettes de l’État au moyen de lois contre l’évasion ou l’optimisation fiscale et par une refonte de la fiscalité qui imposerait davantage les plus riches pour redistribuer via l’impôt aux futurs retraités.

Pourtant, bien des militants et militantes, quelque soient leurs bords, s’essayent à poser sur la table des discussions et dans les mobilisations la question centrale du travail. Nous aurions tout intérêt face au projet du recul de l’âge de départ à la retraite à nous emparer de cette question. La bataille sur les retraites ne peut se concevoir sans aborder de manière frontale les conditions d’emploi et de travail.

La critique de l’accumulation capitaliste.

De ces dernières dépendent en grande partie le niveau de la liquidation des droits à la retraite comme des conditions de son déroulement. Ainsi se battre contre la retraite à 65 ans, c’est regarder dans le viseur et se battre pour améliorer nos conditions de travail et d’emploi aujourd’hui.

Refuser l’allongement de la durée du temps de travail sur la vie, c’est reposer avec force la question épineuse des rapports sociaux d’exploitation et de domination. Autrement dit, c’est s’en prendre à la stratégie du Capital qui consiste à tout marchandiser (le corps et l’esprit, les relations humaines) dans une fuite en avant pour le profit et son accumulation.

La question du financement du système de retraite, dans lequel tous les salarié.es peuvent partir s’ils le souhaitent à 60 ans, est centrale. Mais elle rate sa cible si elle fait abstraction de la manière dont les richesses sont créées aujourd’hui. Or aborder la création de richesses, c’est aborder le travail et sa réalité actuelle.

De nombreux secteurs professionnels sont soumis à des conditions de travail et d’emploi dégradés : l’automobile, l’agro-alimentaire, la logistique, la grande distribution, le bâtiment, les hôpitaux, l’aide à domicile, le nettoyage, le transport, bref le secteur ouvrier et employé. Mais les professions intermédiaires que l’on retrouve dans l’Éducation, le Social ou le secteur des télécoms et du numérique sont de plus en plus impactés. Rappelons que ces trois catégories rassemblent à elles seules les trois quarts de la population active selon l’Insee.

On a souvent mis en lumière lors des précédentes contre-réformes le fait qu’un.e salarié.e sur 2 n’était plus dans son emploi à 60 ans. Mais on est resté souvent très silencieux sur le pourquoi de cette situation. Cette insuffisance de la critique est sans doute à rechercher dans l’impensé que constitue la remise en cause du capitalisme. On s’accorde ou on est en désaccord sur le produit de la richesse mais pas sur les conditions de sa création.

On comprend bien toute la portée subversive que constitue la bataille pour une retraite digne ! Et les libéraux ont fort à faire pour ne parler que de recettes et de dépenses, bref de ramener le débat à des chiffres, à une logique gestionnaire d’épicier : il leur faut à tout prix éviter que les prolétaires s’interrogent sur le contenu de la marchandise vendue !

Qu’on ne se méprenne pas ! Dans l’état du rapport de force actuel, nous n’allons pas revendiquer une retraite à la carte. Cela signifierait la fin du système universel et solidaire des retraites. En revanche, défaire les libéraux suppose que l’on détricote leurs discours idéologiques, reposant sur une prétendue liberté de travailler et de partir pour chacun quand il le souhaite.

Il est temps de marteler que les libéraux sont contre la liberté des travailleurs et travailleuses en les empêchant de travailler dans des conditions dignes et en bonne santé ! L’incertitude de perdre son emploi, ce n’est pas cela la liberté. Attendre que la journée de travail se termine pour enfin vivre, ce n’est pas cela la liberté !

La mise à mort du travail réel.

Nous en revenons donc à la question première, celle d’améliorer les conditions de travail et d’emploi avant de parler retraites. L’exclusion et la précarité, comme les conditions de travail difficiles sont les conséquences d’organisations du travail qui répondent aux exigences de rentabilité. Ces exigences de rentabilité que l’on retrouve dans le privé comme dans le public sont guidées par une fuite en avant mortifère du capitalisme financier.

Améliorer les conditions de travail signifie aujourd’hui s’en prendre aux stratégies patronales de maximisation des profits. En particulier, l’internationalisation du travail, à coup de délocalisations généralisées de la production, est au cœur des régressions sociales à l’œuvre depuis des décennies. C’est aussi pour cela que nous devons continuer à revendiquer l’autonomie productive de chaque région.

Mais nous ne devons pas oublier la concurrence des entreprises entre elles, qui se traduisent par la sous-traitance généralisée de pans entiers de l’économie ou à tout le moins la contractualisation marchande entre grands groupes et entreprises de taille intermédiaire. Le fameux ruissellement du haut vers le bas est en réalité une contraction généralisée à tous les niveaux des conditions d’emploi et de travail.

Maximisation des profits, capitalisme de la rente actionnariale, concurrence exacerbée : voilà ce qui détruit le travail et qui broie petit à petit les salariés. La crainte de perdre son emploi, d’être mal noté, de ne pas pouvoir répondre aux objectifs fixés débouchent inévitablement sur une dégradation de la santé des salariés dont les maladies professionnelles ne sont que l’arbre qui cache la forêt.

Le burn-out n’est toujours pas reconnu ! Les arrêts maladie, pour beaucoup de salariés, sont une défense individuelle pour ne pas sombrer, quand d’autres vont mobiliser jusque à l’extrême limite toutes leurs forces pour se maintenir dans l’emploi. C’est ainsi que bon nombre de salarié.es tombent au bout de quelques années dans des arrêts maladie qui débouchent sur des licenciements pour inaptitude à tout poste de travail dans l’entreprise considérée.

L’inaptitude devient le seul choix pour des salarié.es, face à un retour à l’emploi impossible au vu des exigences de rentabilité et donc de conditions de travail dégradées. Ou encore l’inaptitude est la conséquence des corps brisés physiquement par la forte augmentation des cadences de travail (la fameuse productivité horaire des salarié.es en France).

Les innovations technologiques imposent une réduction de la durée du travail, mais pour qui ?

La réduction du temps de travail se réalise aujourd’hui de manière hebdomadaire, à l’année ou sur la vie. Elle est concomitante des innovations technologiques depuis le 19ème siècle. Elle a globalement été le résultat à la fois des luttes ouvrières mais aussi de la rationalisation du travail par les capitalistes.

Les organisations du mouvement ouvrier ont toujours cherché à transformer la réduction du temps de travail en un bienfait pour la vie des salariés. Les capitalistes ont eux toujours cherché, soit à augmenter la durée du travail pour moins embaucher, soit à intensifier le travail dans les périodes où ils étaient en reculs face aux luttes des travailleurs.

Depuis la défaite du mouvement ouvrier au début des années 1980, les innovations technologiques sont synonymes de reculs sociaux : intensification du travail pour les uns, chômage et précarité pour les autres. Des pans entiers de la population active sont considérées comme de la sur-valeur, c’est-à-dire inutiles à la production de richesses.

La réduction de la durée du travail s’est ainsi traduite par une intensification du travail pour une large partie des ouvriers, employés et catégories intermédiaires et une mise au chômage d’une partie d’entre eux. Mise au chômage qui s’est elle-même transformée en une situation d’assistance publique via le RSA et les minima sociaux.

Le sentiment d’injustice ressenti par celles et ceux qui travaillent et qui, sous les coups de butoir des défaites successives, de la propagande de Sarkozy et maintenant de Macron, s’incarne aujourd’hui dans le thème de la revalorisation de la « valeur Travail » et dans celui de « l’assistanat » des privés d’emploi. Rappelons au passage que la valeur Travail n’est autre que la force de travail monnayée comme une marchandise. Nous aurions tort de ne pas opposer à ce slogan patronal qui se pare de vertu sociale, celui de la « valeur du travail » !

Les bienfaits d’une réduction de la durée du travail ne peuvent s’envisager que sous l’angle d’une réorganisation du travail et sa répartition entre tous et toutes. Les innovations technologiques ne sont au final qu’un des éléments expliquant cette répartition solidaire du travail alternative à celle qui a cours aujourd’hui, c’est-à-dire à une répartition basée sur la concurrence de tous contre tous.

Contraindre la bourgeoisie à une défaite, condition pour une contre-offensive d’ensemble.

Compte-tenu de la majorité relative des macronistes à l’assemblée, il va falloir déjouer les pièges que cette direction politique de la bourgeoisie va s’employer à mettre en œuvre. En effet, toute son offensive va consister à démontrer qu’il y a un problème de financement des retraites au vu du « coût du travail » et des cotisations sociales.

Le gouvernement va sans doute proposer des primes et des revalorisations qui resteront insuffisantes dans cette période inflationniste. Enfin, nous pouvons prévoir qu’il va tenter de jouer l’opposition entre actifs et retraités. Comme toujours, il nous revient dans les organisations de masse et dans les expressions politiques de prendre le contre-pied du gouvernement et du patronat et de pointer le coût du Capital, en particulier la manière dont le Capital financier se paye sur la bête, c’est-à-dire sur le travail réel.

C’est pourquoi il n’est pas inutile de mettre à jour ce que tout un chacun vit au travail : conditions d’emploi dégradées (précarité, temps partiel imposé, travail dissimulé, licenciement), travail morcelé et bureaucratisé, gestes répétitifs et usants, cadences augmentées, salaire qui décroche, perte de sens du travail demandé, transformation des métiers en compétences superficielles et parcellisées…

Voilà comment se traduit concrètement le coût du Capital. Les entreprises du CAC 40 ont fait 130 milliards d’euros de bénéfices nets en 2021, l’évasion fiscale est estimée à 80 milliards d’euros/an… Ces chiffres sont importants, peuvent donner le tournis et de façon paradoxale aboutir à un sentiment d’impuissance. Pour combattre cela, opposons leur un projet politique fondé sur les aspirations du prolétariat à la justice sociale et à l’égalité économique.

Une boussole pour les revendications : libérer le travail des chaînes du Capital !

Ce projet s’incarnera d’abord dans des revendications unifiantes et de portée générale qui donneront ainsi un sens concret aux aspirations et aux revendications particulières. Mais il ne nous appartient pas ici de chiffrer ces revendications. Ce sera, d’un coté aux syndicats, de l’autre aux travailleuses et au travailleurs en lutte, de le faire.

Évidemment ce que les salarié.es et leurs organisations peuvent imaginer et revendiquer n’est pas indépendant du rapport des forces réels entre le travail et le capital. Ainsi, seul un mouvement de masse à forte conflictualité sera en mesure de porter pleinement les aspirations du prolétariat.

Nous nous bornerons donc ici à esquisser la logique politique que nos militantes et nos militants défendront dans leur syndicat et leurs assemblées générales de lutte. Mais cette logique peut évidemment évoluer dans le cadre de mobilisations sociales de grande ampleur, catalyseur d’une prise de conscience par les travailleuses et les travailleurs en lutte des enjeux de la période.

  • Salaire : Une augmentation générale des salaires, traitements, pensions et « revenus de remplacement » est nécessaire tout de suite, pour rattraper les importantes pertes de revenu des travailleuses et des travailleurs accumulées depuis tant d’années. Ce sera aussi l’occasion de remettre en cause toutes les discriminations salariales, en particulier celles subies par les femmes.
    Mais se limiter à une augmentation générale sans remettre en cause les hiérarchies salariales, ce serait surtout entrer dans une spirale inflationniste qui annihilerait progressivement tous ce qui aurait pu être gagné. Au delà de l’exigence d’une indexation des salaires sur l’évolution du coût de la vie, il faut se battre pour un resserrement de écarts de salaire : un salaire minimum donnant accès à tous et toutes au logement, à la nourriture, à la culture et aux biens d’équipement « nécessaires », outre les services publics gratuits ouverts à toutes et tous : santé, éducation, formation, transport, sport… Ce minimum sera nettement supérieur au SMIC d’aujourd’hui. A contrario, un salaire maximum est nécessaire dont le niveau devra être déterminé collectivement.
  • Emploi : Réduction du temps de travail à 32h, vers les 30h, sans annualisation du temps de travail et avec création d’emplois. Lutte contre la précarité en restreignant les CDD au remplacement des travailleurs et travailleuses absentes et en généralisant le CDI intérimaire au sein des boites d’intérim. Lutte contre le travail dissimulé en régularisant massivement les travailleuses et travailleurs sans-papier. Lutte contre les délocalisations de production et pour l’autonomie productive de chaque pays.
  • Travail : Droit de veto et de proposition des représentants des salariés dans les CSE (comités sociaux et économiques) pour tout ce qui relève de l’organisation du travail, de l’intensité du travail et ses finalités.
  • Revenu du capital : Une interdiction des stock options et autres privilèges des cadres dirigeants d’entreprises peut être mise en œuvre immédiatement. En complément un contrôle par les CSE du montant des dividendes versés aux actionnaires est le verso nécessaire aux augmentations de salaire. Ce contrôle ne sera qu’une étape dans la transition vers une économie au sein de laquelle les moyens de production seront socialisés.
  • Propriété : La socialisation des entreprises peut passer par la création d’une banque de crédit public aux investissements des entreprises, financée par une cotisation sociale dépendant de la taille de chaque entreprise. Un tel financement public permettra la mutation du secteur productif devenant socialisé et au sein duquel l’autogestion par les travailleurs et travailleuses pourra s’organiser. Et un tel processus sera nécessaire pour mettre en œuvre la nécessaire réorganisation de la production afin de la rendre compatible avec une véritable lutte contre la crise écologique.
  • Revenus de remplacement : Retraites à 60 ans à taux plein et dont le montant sera calculé, comme dans les régimes spéciaux, sur les six mois les plus favorables et au même taux ; Allocation chômage pour toutes les personnes privées d’emplois et dont le calcul sera aligné sur le régime des licenciements économiques ; Régime général unique, solidaire et intergénérationnelle de Sécurité sociale, gérée par les représentant.es syndicaux ; Suppression de la CSG (contribution sociale généralisée) – cet instrument de casse du système de protection sociale pensé en 1944 par le CNR (Conseil National de la Résistance) – remplacée par une augmentations des cotisations sociales !

Mais des revendications, aussi justes soient elles, ne sauraient remplacer le travail militant de conviction. Le combat contre le capitalisme nécessite que des militants et des militantes formées politiquement soient réellement présentes au sein du combat social et impliquées dans l’animation de ses mobilisations.