Internationalisme : La Kanaky doit être décolonisée !
En Kanaky, le macronisme montre son vrai visage, celui d’un pouvoir autoritaire, incapable d’écouter la parole de celles et ceux qui subissent des discriminations, en l’occurrence le peuple Kanak. Les décisions présidentielles à l’emporte-pièce détruisent progressivement toute possibilité de parvenir à un processus apaisé de décolonisation.
Après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie au nom du gouvernement français en 1853, les Kanak ont été relégués dans des réserves dès 1859, subi le travail forcé, l’interdiction de circuler dans le cadre du code de l’indigénat de 1887. Leur population s’est effondrée du fait d’épidémies et de famines. Si les historiens estiment que la population totale Kanak semble avoir été pendant près de 2 000 ans d’environ 50 000 personnes, celle-ci a régulièrement décliné dès l’arrivée des Européens pour atteindre 27 000 vers 1900. Ils et elles ont été confrontées en parallèle à une colonisation de peuplement, surtout après le boom du nickel en 1963.
Aujourd’hui, les Kanak constituent un peu plus de 40 % de la population et sont donc devenus minoritaires dans leur propre pays. Mais, en particulier pour les personnes Kanak vivant au sein des « tribus » – 48 % en 2019 -, elles sont encore porteuses d’une véritable civilisation organisée autour de la « coutume » structurée par les dons et de contre-dons, et dans laquelle les rapports humains restent indépendants de toute notion de classes ou d’État.
La lutte anti-coloniale se développe.
Selon l’anthropologue Eric SORIANO, « peu après 1946, après plus d’un siècle de répression, de spoliations foncières et de cantonnement dans des réserves, les populations colonisées de Nouvelle-Calédonie accèdent au suffrage universel« . Un processus politique se met progressivement en place qui a abouti à la revendication indépendantiste, d’un peuple devenu minoritaire chez lui.
Dès le début de l’année 1983, la situation politique et sociale se durcit sur tout le Territoire, ce qui va provoquer la tenue de la table ronde de Nainville-les-Roches, en juillet en métropole entre le gouvernement français et toutes les composantes politiques du Territoire. Pour la première fois, un projet d’autonomie interne avec maintien de la présence française, reconnaît le « droit inné et actif des Kanak à l’indépendance« . Le débat sur le corps électoral pour le futur référendum d’autodétermination est ouvert mais le gouvernement français n’envisage en aucun cas de modifier le corps électoral calédonien.
Ce marché de dupes aboutira à la création en septembre 1984 du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Sa charte définit « l’indépendance kanak socialiste » en tant qu’objectif. Le FLNKS décide d’en finir avec le jeu politique institutionnel et propose un « boycott actif » des élections territoriales du 18 novembre 1984. Le jour du vote, Éloi Machoro, secrétaire général de l’Union Calédonienne, brise à coups de hache l’urne électorale dans la mairie de Canala. L’abstention dépasse les 80 % chez les Kanak Fin novembre une convention nationale des délégués des comités locaux désigne un gouvernement provisoire de Kanaky avec Jean-Marie Tjibaou comme président.
La ville minière de Thio est la seule municipalité de la côte a être encore administrée par un Européen, Roger Gaillot, dirigeant du Front national local. Le 20 novembre 7 barrages routiers et un blocus maritime isolent la commune du reste du Territoire. L’autodéfense des tribus locales est organisée. Le 2 décembre, Éloi Machoro et près de 400 hommes déterminés, armés de machettes, de sabres d’abattis, de casse-tête et, pour certains, de fusils, encerclent dès leur atterrissage 4 hélicoptères transportant environ 90 gendarmes mobiles et contraignent ceux-ci à se rendre à Thio-Village où ils rejoignent, une fois désarmés, les autres gendarmes reclus dans leur casernement. Pas un seul coup de feu n’ait été tiré. L’ensemble du Territoire est en situation de « pré insurrection » : occupations de mairies, de gendarmeries, barrages…
Le pouvoir colonial se ressaisit toutefois. Des escadrons de gendarmes mobiles affluent de métropole, portant leur nombre à 6 000 hommes, soit un gendarme pour 10 Kanak. Toute manifestation est interdite, l’armée s’affiche en ville, des bateaux de guerre ravitaillent le nord de l’île. Edgar Pisani, émissaire spécial du gouvernement français, débarque le 4 décembre. Avant toute négociation, il réclame la levée des barrages. Des « loyalistes » montent une embuscade sur la route de Tiendanite contre des militants kanak : 10 sont tués dont 2 frères de Jean-Marie Tjibaou. Le rapport de force étant très défavorable aux Kanak, Jean-Marie Tjibaou fait lever les barrages le 10 décembre.
Mais la mobilisation se poursuit et la résistance s’accroît contre la situation coloniale, jusqu’aux actions d’avril 1988 et à l’assaut de la grotte de Gossanah sur l’île d’Ouvéa le 5 mai – entre les 2 tours de l’élection présidentielle opposant Chirac et Mitterrand -, véritable acte de guerre de l’État français faisant 19 morts kanak.
Les Accords de Matignon de juin 1988 font suite à la défaite de Chirac et aux « évènements d’Ouvéa« . Ils sont marqués par l’emblématique poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, leader de la droite coloniale locale. Ces accords organisent une forme de transition, avec par exemple la rétrocession de mines de nickel à la Province nord, dirigée par le FLNKS, et la prévision d’un référendum d’autodétermination dans les 20 années à venir avec un électorat « gelé« . Le combat social n’est pas oublié par les Kanak et est organisé par le syndicat indépendantiste USTKE (Union syndicale des travailleurs Kanak et des exploités).
Et Macron, l’autoritaire, intervient !
Trois référendums échelonnés sont finalement prévus. Le premier se tient en 2018, avec une participation de 81 %. 56,7 % des suffrages exprimés se portent sur le maintient dans la République Française. Lors du second référendum de 2020, la participation est en hausse et atteint 85,7 %. Le score devient plus étriqué pour les loyalistes qui obtiennent 53,3 %, laissant présager une possible victoire indépendantiste au troisième et dernier référendum.
Les dérives à l’œuvre aujourd’hui se sont nouées lors de la troisième phase du référendum qui devait se tenir en décembre 2021. Longtemps restée exempt de Covid-19, le Caillou – sobriquet désignant la Nouvelle-Calédonie – a, à son tour, été frappé par le virus en septembre 2021, percutant la campagne et faisant des dizaines de victimes, notamment chez les Océaniens où la mort implique en temps normal rituels et rassemblements claniques.
Logiquement les organisations indépendantistes ont demandé un report de quelques mois, pour qu’il se tienne dans des conditions démocratiques satisfaisantes. Droit dans ses bottes, Macron a refusé. Résultat le référendum de décembre 2021 a été boycotté par l’ensemble de la mouvance indépendantiste. Les « loyalistes » ont certes obtenu un score de 96,5 %, mais avec une participation en peau de chagrin de 43,9 %. Le FLNKS accuse Macron « de bâcler la fin de l’accord de Nouméa avec la complicité de la droite locale« , dont une énième recomposition a vu en mai l’émergence d’une confédération Ensemble !.
Depuis les macronistes ne cessent de prendre des décisions qui montrent le peu de cas qu’ils font des derniers peuples colonisés par l’état français. Éphémère ministre des outre-mer, Yaël Braun-Pivet a annulé en dernière minute un déplacement qu’elle devait effectuer en Nouvelle-Calédonie fin juin. Une occasion manquée car la ministre aurait dû participer à l’inauguration d’une place de la paix à Nouméa pour commémorer les accords de Matignon du 26 juin 1988.
Rien ne s’arrange avec le gouvernement Borne II. Les territoires d’outre-mer ne bénéficient plus d’un ministère de plein exercice, ce qui est qualifié de « totale régression », par le FLNKS. La présidente de la province Sud loyaliste, Sonia Backès entend cumuler son mandat local avec le poste de secrétaire d’État à la citoyenneté, ce qui marque pour les indépendantistes « une perte totale d’impartialité de l’État« .
Le lien ne cesse de se dégrader entre les organisations indépendantistes et les représentants de l’état français, au point que certains se demandent si la stabilité et la paix fragiles qui prévalent depuis trente-cinq ans ne sont pas aujourd’hui en péril. « Ce dialogue de sourds rappelle malheureusement celui des années 1980, qui a abouti à la tragédie d’Ouvéa« , analyse Benoît Trépied, anthropologue au CNRS, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
Face au Forum des Pays du Pacifique, qui lors de son sommet à Fidji des 11 au 14 juillet 2022 a émis « de sérieux doute sur la légitimité du résultat du référendum« , « qui ne s’est pas tenu dans l’esprit de l’accord de Nouméa« , Gérald Darmanin a annulé le 17 juillet 2022 sur Twitter le déplacement qu’il devait effectuer en Kanaky. A la place, le ministre a convoqué un comité des signataires de l’accord de Nouméa en septembre à Paris « afin de clôturer le cycle des référendums et d’engager les discussions sur l’avenir de l’archipel au sein de la République française« .
A quoi jouent donc les macronistes ? « Un report [du scrutin] aurait pu empêcher la polarisation politique qui maintenant menace de faire dérailler tout le difficile travail accompli au cours des trois dernières décennies« , a relevé le comité ministériel du Forum du Pacifique. Le FLNKS constate pour sa part que « désormais, nous sommes soutenus (…) par l’ensemble des pays du Forum des îles du Pacifique, Australie et Nouvelle-Zélande comprises. On revient aux fondamentaux de notre lutte : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’émancipation, la décolonisation et on fait avec les moyens dont on dispose : les Nations unies et la région« . Logiquement le FLNKS a opposé une fin de non-recevoir à la convocation au Comité des signataires, en dénonçant « un nouveau coup de force de l’État« .
Il appartient à tous les anticolonialistes en France de se mobiliser pour que les Kanak puissent exercer leur droit à l’autodétermination. Macron n’étant pas du genre à remettre facilement en cause ses décisions, l’hypothèse de l’organisation d’un nouveau référendum paraît peu probable. Nous devons donc nous préparer à soutenir les luttes que le peuple Kanak ne manquera pas d’organiser pour conquérir son émancipation.