Écologie : Le partage de l’eau

Écologie : Le partage de l’eau

Conséquence inévitable du réchauffement climatique, les périodes de canicules, auxquelles nous allons être confrontés de plus en plus souvent, vont avoir des conséquences majeures. Outre les désastres que la sécheresse et les méga-feux causent à la biodiversité, elles mettent en cause la capacité de l’agriculture à nourrir la population humaine, estimée aujourd’hui par l’ONU à près de 8 milliards. Le partage de l’eau va devenir une question politique de plus en plus centrale.

Selon le dernier rapport du GIEC, la température moyenne à la surface de la planète a augmenté de 1,1°C entre 1880 et 2020. Et dès 2030, cette augmentation devrait atteindre 1,5°C. Évidemment, sans réorganisation majeure de l’activité humaine, rien ne permettra de ralentir le réchauffement de l’atmosphère.

Selon le World Ressources Institute, organisme de recherche états-unien, 17 pays qui représentant un quart de la population mondiale font aujourd’hui face à une situation « d’extrême stress hydrique ». Dans ces pays, les humains prélèvent au moins 80 % de leurs ressources en eau douce disponibles sur une année, eaux de surface et eau souterraines. Les pays « en voie de développement » ne sont pas les seuls touchés. L’Ouest des États-Unis, certaines provinces de Chine, le Mexique ou encore le Sud méditerranéen font partie des régions les plus exposées.

Les pays en extrême stress hydrique ne disposent que de peu de réserves pour satisfaire les besoins en eau en cas d’événement climatique ou extérieur imprévu. Par ailleurs, 748 millions de personnes restent privées d’eau potable dans le monde, que ce soit dans ces pays où l’eau commence à manquer, ou ailleurs.

La consommation d’eau explose.

Les nappes phréatiques souterraines fournissent de l’eau potable à la moitié de la population mondiale. Mais une sur cinq est surexploitée. Par exemple, dans le nord de la Chine, le niveau de certaines nappes phréatiques est descendu de 40 mètres en quelques années, pour satisfaire les besoins de l’irrigation intensive. Ce n’est évidemment pas sans conséquence : risques de glissement de terrain, entrées d’eau de mer qui rendra à terme l’eau inconsommable…

L’ONU prévoit que d’ici 2050, la demande en eau devrait augmenter de 55 %, non seulement sous la pression d’une population croissante (la Terre comptera alors 9,5 milliards de personnes), mais aussi parce que la consommation s’envole. Les besoins de l’industrie devraient exploser de 400 % d’ici là. Quant au secteur agricole, ses prélèvements actuels ne sont pas soutenables, estiment les experts. Entre 1961 et 2009, les terres cultivées se sont étendues de 12 %, tandis que les superficies irriguées augmentaient de 117 %.

La France est censée faire partie des pays peu concernés, car seuls de 20 % à 40 % des ressources en eau disponibles sont prélevés chaque année. Pourtant cet été la quasi-totalité du territoire métropolitain a été concerné par des restrictions, avec 73 départements placés en situation de « crise » hydrique. Et d’autres éléments commencent à prendre un tour inquiétant. Ainsi en est-il de la pénétration de sel dans les nappes phréatiques des régions méditerranéennes françaises.

Pour aller plus loin, signalons la nécessaire distinction entre « prélèvement » et « consommation » d’eau douce. L’exemple des centrales électriques thermiques et nucléaires est parlant. Elles prélèvent de grandes quantités d’eau pour leur refroidissement, une faible partie de cette eau s’évapore, ce qui représente quand même des quantités considérables. Puis elles restituent l’essentiel de cette eau à l’endroit même où elle a été prélevée. Il n’en est pas de même pour l’eau prélevée pour l’irrigation dont la plus grande partie est « consommée » : elle ne retourne pas dans les eaux disponibles.

A la lumière de cette distinction, le Centre d’Information sur l’eau, explique sur son site internet que 48 % de l’eau consommée en France l’est pour l’irrigation, 24 % pour les usages domestiques, 22 % pour la production d’électricité et 6 % pour l’industrie. La surface agricole irriguée représente environ 6% de la surface agricole utile en France (chiffres de 2010). Le maïs accapare à lui seul 41 % des surfaces irriguées, et les autres céréales 17%.

Quant à la production d’électricité, si elle ne consomme « que » 22 % de l’eau, ses prélèvements représentent 64 % du total et cela pèse extrêmement fort dans les arbitrages quand l’eau se fait rare !

La question du partage de l’eau se politise.

Car dans notre pays le partage de l’eau commence déjà à prendre un tour politique. Les partisans de l’agriculture productiviste, souvent organisés au sein de la FNSEA ou de la Coordination Rurale, cherchent à multiplier les réserves d’eau pour maintenir leur modèle agricole. De plus en plus souvent, ces projets suscitent des oppositions.

Le triste souvenir de la lutte contre le barrage de Sivens, projet qui a fini par être abandonné, résonne encore dans de nombreux esprits. Une lutte qui a opposé des personnes voulant défendre une « zone humide » contre un groupement d’agriculteurs, soutenu par les autorités locales. Là aussi, la question de l’appropriation de l’eau fut soulevée.

Il en a été de même au Barrage de Caussade en Lot-et-Garonne. Selon France Nature Environnement, ce barrage promu par la Coordination Rurale et déclaré illégal par la justice, s’est pourtant construit en 2019. Il « est un véritable cas d’école des tensions qui règnent autour de l’eau ». Véritable « racket de l’eau organisé par une minorité », un tel barrage ne répond en rien à une gestion soutenable de l’eau pour les habitants d’un territoire où l’eau manque régulièrement. « Quoi qu’en dise le lobby de l’irrigation, les faits se montrent têtus : faire un barrage dans ces conditions, c’est accentuer les sécheresses du territoire ». « Créer un barrage pour irriguer les exploitations d’une minorité d’agriculteurs revient à prendre une part plus importante d’un gâteau alors même que celui-ci se réduit ». À la place, il serait nécessaire, au contraire, « d’adapter les systèmes de culture, notamment en réduisant la culture intensive de maïs, mal adaptée à ce territoire ».

Quant aux Les 41 méga-bassines construites dans le bassin versant du Clain (Vienne), elles ont été réalisées avec cette fois le soutien de l’État. Selon la Confédération Paysanne, « elles symbolisent la fuite en avant d’un modèle agricole qui refuse de se transformer ». Ces ouvrages hydrauliques imperméables, sont remplis par pompage dans les nappes phréatiques ou dans les cours d’eau. « Avec une pluviométrie parfois insuffisante et un rechargement des nappes de plus en plus tardif, la pression exercée par le remplissage des méga-bassines sur la capacité des milieux aquatiques à se renouveler est donc énorme. Or ce sont d’abord les nappes qui doivent se recharger en hiver afin d’alimenter le réseau hydrographique, renouveler les milieux aquatiques et infiltrer les sols ». Là encore la fuite en avant de l’agro-industrie va accentuer les problèmes de sécheresse pour une grande partie de la population.

Les semaines de canicule de l’été 2022 vont-elles accélérer la prise de conscience en cours sur cette question ? Cela n’est pas évident quand on prend connaissance du fait divers relevé le 13 août par le journal Le Monde : « De l’été 2022 en France, on retiendra peut-être que c’est celui où l’on a commencé à voler de l’eau. Quatre cents mètres cubes conservés dans une réserve destinée aux soldats du feu ont été dérobés après six heures de pompage, le 16 juillet, dans la zone industrielle de Lavilledieu (Ardèche), par les responsables d’un club de moto-cross : il fallait, ont-ils expliqué, arroser les pistes ».

Les agriculteurs productivistes ne sont pas les seuls dont l’activité est montrée du doigt. Les installations de loisir, en particulier celles orientées vers une clientèle fortunée soulèvent de nombreuses polémiques, parce que les pouvoirs publics les exemptent des restrictions imposées à tous. Il en est ainsi des golfs, installations « socialement marquées ». Le Monde explique : « alors que le bassin de la Brière (Loire-Atlantique) est en « alerte crise » depuis le 12 juillet, le golf international Barrière de La Baule et celui de la Bretesche, à Missillac (Loire-Atlantique), sont autorisés à irriguer leurs pelouses six nuits par semaine, avec un prélèvement d’eau ne pouvant excéder « plus de 30 % des volumes habituels ». »

Face aux restrictions, les crispations entre secteurs d’activité se multiplient.

La sécheresse historique de cet été 2022, aggravée par les épisodes caniculaires, se traduit partout par des pénuries inédites en France. Les oppositions entre les différents consommateurs suscitent des tensions entre secteurs d’activité, le tourisme, l’agriculture, énergie et autour de l’accès à l’eau potable, alors qu’à la mi-août, selon le ministère de la transition écologique, il n’y avait plus d’eau potable dans une centaine de communes.

Cette sécheresse de l’été 2022 est évidemment une catastrophe pour l’agriculture et en particulier pour l’agriculture intensive. En particulier parce que le maïs et beaucoup de cultures maraîchères ne sont pas encore arrivés à la fin de leur cycle végétatif. Cesser l’irrigation maintenant aura des conséquences économiques importantes.

Il serait exagéré de dire que la guerre de l’eau a commencé en France. Mais des escarmouches ont bien eu lieu. Ainsi, près de Mas-Saintes-Puelles, dans l’Aude, la dégradation de trois écluses sur le canal du Midi a rendu momentanément impossible la navigation. Les inscriptions laissées, « irrigation pour tous », donnent le ton à cette action. En Charente-Maritime, une association d’agriculteurs irriguant a appelé ses membres à continuer ses prélèvements d’eau, malgré l’interdiction. Dans « le camp d’en face », l’association SOS Rivières dénonce, elle, les pratiques d’irrigation illégales notamment de nuit, avec photos à l’appui. Et en Vendée, dans la nuit du 8 au 9 août, deux méga-bassines destinées à l’irrigation ont été dégradées. Les interdictions de prélever dans les cours d’eau pour l’irrigation se multipliant, la situation a peu de chance de se calmer, tant que durera la sécheresse.

L’agriculture productiviste n’est pas la seule à être concernée. A Toulouse le collectif Extinction Rebellion a cimenté les trous de deux parcours de golf pour protester contre les dérogations dont ces activités bénéficient afin de permettre l’entretien des greens. A Gérardmer, dans les Vosges, station balnéaire qui a annoncé le 1er août que la nappe phréatique de Ramberchamp était à sec, les jacuzzis de plusieurs habitations à vocation touristique ont été éventrés. « L’eau, c’est fait pour boire » a t-il été écrit !

Les services de l’État tentent de trouver d’impossibles arbitrages entre la nécessité de ne pas trop faire baisser le niveau des fleuves pour ne pas devoir arrêter les centrales nucléaires, d’autoriser l’irrigation pour ne pas créer de catastrophe agricole, de maintenir un accès à l’eau potable et accessoirement de ne pas perturber les loisirs des classes sociales privilégiées.

Mais il n’y a pas de miracle. Il y a trop de paramètres contradictoires. Il est urgent de changer de politique de gestion de l’eau. Ce qui nécessitera des remises en cause d’intérêts économiques que ce gouvernement ne semble pas envisager.

Aujourd’hui, dans ses barrages et lacs de retenues, EDF gère plus de 7 milliards de mètres cubes d’eaux de surface. Ainsi les barrages de Naussac et de Villerest vont-ils assurer un débit de la Loire permettant le fonctionnement des centrales nucléaires, mais insuffisant pour les autorisations de prélèvement pour l’irrigation. Car l’eau des barrages doit pouvoir assurer un débit minimum jusqu’à l’automne. Selon Le Monde Sandrine Cadic, directrice régionale adjointe de l’environnement de la région Centre-Val de Loire a déclaré qu’il « n’est aujourd’hui pas question de remettre en cause la production de ces centrales nucléaires ».

Adapter l’agriculture à l’évolution climatique.

Cette sécheresse va faire des dégâts, tant à la flore sauvage avec une surmortalité des plantes, qu’à la faune, poissons, oiseaux et mammifères, en raison de l’assèchement historique des cours d’eau et des sols. Mais les activités humaines sont profondément touchées elles aussi. Les deux secteurs économiques qui vont être les plus impactés sont évidemment, d’abord l’agriculture, puis la production d’énergie, et en particulier au sein des centrales nucléaires.

Ce dernier point est un élément supplémentaire qui doit questionner la volonté du gouvernement de relancer la construction d’un nombre important de centrales atomiques. Cette question sera traitée dans un prochain article. Il en est de même pour les « usages domestiques » qui concentrent un grand nombre de questions, de la lutte contre les fuites, puisque près de 20 % de l’eau probabilisée est perdue, à l’utilisation qui en est faite, par exemple dans nos chers WC,…

La question de l’agriculture est plus immédiate. La réflexion que mène la Confédération Paysanne dégage des pistes intéressantes. Ainsi dans son argumentaire contre les méga-bassines elle écrit : « Pour faire face à la raréfaction de la ressource en eau et répondre aux besoins de l’agriculture, il faut d’abord chercher à retenir l’eau dans les sols. Cela passe par moins de bétonnage, par la préservation des zones humides et par le soutien à des pratiques agricoles qui restaurent les sols. L’amélioration du stockage de l’eau dans les sols permettra de faire revenir une eau disponible pour les plantes en période de sécheresse. » Par exemple, remettre en cause le drainage dans les champs pourrait contribuer à limiter l’assèchement des sous-sols.

« Pour compléter cette ressource en eau que les plantes prélèvent directement dans le milieu naturel, il peut être mis en place des petits ouvrages de stockage ou des systèmes d’irrigation déconnectés du réseau hydrographique. Cela perturbe moins le cycle naturel de l’eau que des méga-bassines qui pompent dans des réservoirs naturels ».

Quant à l’augmentation importante de la taille des élevages, qui fait souvent suite au processus de concentration des terres, elle ne permet plus de « laisser boire les bêtes au fil de l’eau ». Évidemment cela se traduit par une augmentation de la quantité d’eau potable consommée. Là encore, la crise de l’eau est un argument supplémentaire pour cesser le processus d’industrialisation de l’agriculture et pour redévelopper une agriculture paysanne bien plus à même de mener des projets d’adaptation à la nouvelle donne climatique.

Les projets développés par les réseaux de l’agriculture paysanne en sont bien la preuve. L’agriculture française ne pourra pas non plus s’éviter une réflexion sur les types de cultures qu’il est raisonnable de pratiquer dans chaque région pour moins subir les cycles de sécheresse et de canicule qui ne manqueront pas de se produire …

Rappelant que « le respect du cycle de l’eau et sa préservation doivent être garantis » comme préalable à toute politique rationnelle, la Confédération Paysanne exige que « les financements publics doivent en premier lieu inciter les paysans et les paysannes à s’engager dans des systèmes qui limitent leurs impacts sur la ressource en eau, en quantité et en qualité. L’encouragement de systèmes agricoles toujours plus gourmands en eau est dangereux pour la pérennité de l’activité agricole qui doit préserver son outil de travail ». Elle appelle aussi à une priorisation dans l’accès à l’irrigation : « L’accès à l’eau en agriculture doit soutenir prioritairement les productions locales pour l’alimentation humaine, l’élevage paysan et des productions agricoles à forte valeur ajoutée et intensives en emplois ».

Ce n’est pas un scoop, la Confédération Paysanne se bat pour une rupture avec l’agro-industrie. Le coup de semonce de l’été 2022 sera t-il suffisant pour que s’amorce cette nouvelle révolution agricole, sans laquelle le réchauffement climatique va se terminer en catastrophe humaine? Nous aimerions y croire !