Unification du syndicalisme de lutte : Ça serait bien, mais comment faire concrètement ?
Alors que dans certains secteurs professionnels, la question de la réunification syndicale a été de nouveau remise à l’ordre du jour, nous tenons d’abord à mettre en évidence la différence entre unité syndicale et réunification. Puis, à partir de quelques rappels historiques, nous tenterons de clarifier les enjeux de ce débat.
L’unité syndicale, c’est le fait pour plusieurs syndicats de mobiliser en commun les salariés, hommes et femmes. C’est apprécié puisqu’en général ils et elles considèrent que la multiplicité des syndicats nuit à leur force. Comme on va le voir par la suite, c’est en partie vrai… et en partie faux.
L’unité syndicale est d’autant plus solide qu’elle se fait autour de revendications largement partagées par les travailleuses et les travailleurs. En effet, il sera alors plus compliqué pour un syndicat de prendre la tangente si ces revendications n’ont pas abouties et si la mobilisation continue. L’unité syndicale sert donc à la fois à montrer qu’il se passe quelque chose, que tous les syndicats se sont mis d’accord, mais aussi à éviter que les syndicats les moins revendicatifs lâchent la mobilisation. Elle doit donc se concevoir le plus largement possible, sans exclusive, pourvu que chaque syndicat soit d’accord avec les revendications.
Unité syndicale et unification syndicale, deux notions différentes
L’unité syndicale est parfois remise en cause en particulier depuis la trahison de la direction de la CFDT en 1995. Celle-ci avait alors soutenu le plan Juppé de réforme des retraites, en plein mouvement social et alors qu’une unité syndicale forte avait été engagée autour de la défense de la Sécurité sociale. Mais si l’on y pense bien, n’est-ce pas précisément l’unité syndicale antérieure à ce retournement de veste de la direction de la CFDT qui a permis de mettre à jour celui-ci, et qui a décidé les secteurs oppositionnels à sortir de la CFDT pour fonder les syndicats SUD ou rejoindre les syndicats existants ?
Ainsi, les communistes libertaires défendent l’unité syndicale autour des revendications des grévistes, et sous contrôle de leurs assemblées générales décidant elles et eux-mêmes des modalités d’action.
L’unification syndicale, qui est le sujet de cet article, signifie que plusieurs organisations syndicales fusionnent en une seule centrale syndicale. Il s’agit donc d’une notion différente, quoique entremêlée. En effet, pour aller vers une unification, le mieux est de commencer par lutter ensemble, autour de revendications communes. Concrètement, ce qui est en débat dans certains milieux syndicaux, c’est une unification entre la CGT, Solidaires et la FSU, qui pourrait agréger d’autres partie du mouvement syndical.
Et il est fréquent que ces trois organisations appellent ensemble à des grèves, ou se retrouvent sur des pactes revendicatifs comme au sein du collectif « Plus jamais ça ». Mais cette unité d’action se fait sans exclusive : elle s’étend parfois à FO, à la CGC, à l’UNSA, voire à toutes les organisations syndicales, ou encore à des associations ou à des syndicats locaux.
Il y a aujourd’hui débat dans le mouvement syndical à la fois sur une hypothétique unification syndicale, ainsi que sur l’unité d’action, les deux notions étant parfois mélangées par leurs détracteurs, ce qui ne facilite pas la discussion. On lit ainsi dans le projet de document d’orientation des oppositionnels pro-FSM pour le prochain congrès de la CGT :
« L’actuelle stratégie de la CGT qui consiste à réunir un maximum de sigles d’organisations syndicales dans l’espoir de massifier la lutte est un constat d’échec. La diversité des syndicats est issue de scissions, de volonté patronale de créer des syndicats à leurs mains, des syndicats souhaitant qu’une partie des salariés soit organisée dans des organisations sectorielles. Cette stratégie aboutit à défendre des revendications sur la base du plus petit dénominateur commun, sachant que dans ce dernier, la perspective de changement de société est systématiquement écartée, ce qui contribue à entraver la mise en échec des attaques gouvernementales et patronales. »
On voit ici la volonté de rompre toute unité avec les autres organisations, au nom d’une lecture de l’histoire du mouvement syndical largement erronée. Revenons maintenant sur l’histoire de la division syndicale.
Un peu d’histoire : d’où vient la réunification syndicale de 1936 ?
Dans tous les pays où ils le peuvent, les communistes créent dans les années 1920 des partis politiques distincts, scissionnant avec le reste du mouvement socialiste, sur la question du soutien à la révolution russe et de la rupture avec la politique parlementariste des partis socialistes. Mais en France le PCF créé en 1921 n’est pas le résultat d’une scission, mais de l’adhésion de la majorité de la SFIO à l’Internationale communiste. Les minoritaires ont été les scissionnistes qui ont recréé la SFIO.
De même, là où ils le peuvent, dans le cadre des affrontements au sein des partis socialistes opposant partisans et critiques de la révolution russe, les partis communistes provoquent des scissions dans le mouvement syndical pour créer des syndicats sous leur domination, selon le modèle léniniste de la « courroie de transmission ».
La CGT a été créée en 1895. En 1901, le nouveau Bureau national élu autour de Victor Griffuelhes y consacre l’influence majeure du syndicalisme révolutionnaire. La CGT devient la principale et la plus prestigieuse force du mouvement ouvrier en France. Après la première guerre mondiale la CGT devient dirigée par des réformistes et tous les opposants qui se réclament de la révolution sont rejetés dans la minorité au sein des instances confédérales.
En 1920 son Bureau national refuse de soutenir la grève des cheminots, animée par des militantes et des militants attirés par la révolution russe. Cette grève se solde par 30 000 révocations. En 1922 une première scission sur impulsion minoritaire des militants et militantes opposées à la ligne réformiste de la CGT, communistes, mais aussi anarchistes, fondent la CGTU (U pour « unitaire »). Les anarchistes vont ensuite se retrouver rapidement minoritaires dans la CGTU face à la montée en puissance des communistes qui n’étaient, à cette période, pas encore des adeptes de Staline.
Pendant plusieurs années, au nom de la politique « classe contre classe » la CGTU dénoncera ainsi la CGT comme « briseuse de grève », la mettant dans le même camp que les patrons. Pourtant la CGT, bien que sous domination réformiste, mènera des luttes et se développera. La CGTU va prioriser les secteurs industriels, les secteurs ouvriers et immigrés, ces derniers en lien avec une politique anti-coloniale.
Il était légitime de fonder une organisation politique soutenant clairement la perspective révolutionnaire, car les organisations politiques sont constituées autour d’un projet politique. Mais ce n’est pas le cas des organisations syndicales, qui sont en premier lieu fondées autour de la défense immédiate des intérêts des travailleurs et des travailleuses. C’est pour cela que les syndicalistes révolutionnaires se sont opposés à la scission de 1922, et considéraient qu’il valait mieux s’organiser en tendance pour soutenir la perspective révolutionnaire de l’intérieur d’une centrale syndicale unifiée.
Cependant, mis devant le fait accompli de la scission, les libertaires et syndicalistes révolutionnaires adhéreront en général à la CGTU. En 1924, suite à la mort de deux militants libertaires tués par le service d’ordre du PCF, des libertaires et des syndicalistes sans appartenance marquée quittent la centrale, notamment dans le bâtiment. Certains retournent à la CGT, d’autres fondent une petite CGT – Syndicaliste révolutionnaire.
Mais la politique des communistes change en 1936. Dès la prise de pouvoir de Staline en URSS, l’idée d’une révolution mondiale est définitivement abandonnée au profit du « socialisme dans un seul pays ». D’autre part, la politique « classe contre classe » a été catastrophique en Allemagne en contribuant à l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933.
Afin de protéger la Russie, les communistes sont appelés à renoncer à toute perspective révolutionnaire dans les pays de l’Ouest, notamment en France et en Espagne, et à faire alliance avec les partis politiques bourgeois au sein de Fronts populaires. Ils sont par ailleurs sous pression d’une puissant appel à l’unité des classes populaires face au danger fasciste. En France, les ligues fascistes tentent ainsi de prendre le pouvoir par un coup d’État en 1934. C’est ainsi que les deux CGT sont réunifiées en février 1936. En mai, le gouvernement de Front populaire est élu, en juin, une grève générale déferle sur le pays, arrachant congés payés, augmentations de salaires et droits syndicaux aux patrons.
Malheureusement, l’URSS va de nouveau changer de stratégie avec la signature du Pacte germano-soviétique en août 1939. Les dirigeantes et dirigeants de la CGT soutenant ce pacte seront exclus. La refondation de la CGTU n’a pas pu survenir, puisque la guerre va mettre fin à tous les droits syndicaux.
Comme on le voit, la réunification syndicale de 1936 a été la conjonction d’une période historique donnée, rappelant pour partie la situation actuelle (crise économique, montée du fascisme), et de l’orientation politique d’une force bien structurée (le PCF, soumis aux aléas de la politique internationale de l’URSS). Une telle force politique n’existe plus aujourd’hui. C’est à la fois un atout, car c’est aussi la ligne politique du PCF qui a conduit à la scission de 1939, et un désavantage, car aujourd’hui bien des dirigeantes et des dirigeants syndicaux n’ont aucune boussole politique et sont en premier lieu guidés par des questions boutiquières.
D’où vient la division syndicale ?
Chacun sait que les staliniens vont sortir de la seconde guerre mondiale avec une hégémonie sur le mouvement ouvrier, en particulier en France. Cependant, leur intransigeance concernant les autres courants politiques vont favoriser l’émergence de nouveaux syndicats. Force ouvrière tout d’abord, en 1947, issue du courant « réformiste » de la CGT, et dont l’émergence a également été largement soutenue par l’impérialisme américain. Puis la CFDT va attirer dans l’après 1968 les militants et les militantes combatives en rupture avec le stalinisme.
Enfin la FSU naît d’une scission-exclusion de la FEN (Fédération de l’Éducation Nationale) au sein de laquelle les manœuvres du courant PS pour y conserver son hégémonie politique a rendu impossible la coexistence dans une même organisation. Quant aux syndicats SUD, les premiers ont été créés en 1988 à la suite d’exclusions au sein d’une CFDT en plein « recentrage » (c’est-à-dire abandonnant toute perspective de transformation sociale). Puis les syndicats SUD se sont multipliés dans la foulée des grèves de 1995. Ses initiateurs et initiatrices auraient sans doute pu rejoindre la CGT à cette période … si la pluralité politique y avait été mieux respectée.
Attardons nous sur ce dernier épisode. A l’époque, la direction de la CGT défend le « syndicalisme rassemblé », notion jamais bien définie, consistant dans les faits à une alliance privilégiée avec la CFDT et à une dépolitisation de l’intervention syndicale. Après l’effondrement de l’URSS, la CGT veut en effet prendre son indépendance vis à vis des réseaux communistes. Elle se désaffilie de la FSM (fédération syndicale mondiale, liée au bloc soviétique) en 1995 et veut adhérer à la CES (confédération européenne des syndicats) et à la CISL (Confédération internationale des syndicats libres), historiquement liées à l’impérialisme américain. Mais la CFDT et FO s’y opposent. L’orientation de syndicalisme rassemblé est donc mise en place pour normaliser l’image de la CGT afin, entres autres, de pouvoir adhérer à la CES, ce qui aboutira en 1999.
La contrepartie de cette stratégie est lourde puisque la CGT tournera le dos à la nouvelle FSU et aux syndicats SUD, malgré les tentatives de ceux-ci d’entretenir le dialogue. De son propre aveu, seuls 10 000 syndiqués issus de la CFDT, essentiellement dans la banque ou le commerce, adhéreront à la CGT, sur un total estimé de 100 000 départs dans l’après 1995.
En conséquence, les syndicats SUD et la FSU vont acter leur autonomie, en élargissant leurs champs de syndicalisation (création de l’union syndicale Solidaires en 1998, extension de la FSU à toute la fonction publique en 2004) et en développant une culture d’organisation propre, se démarquant des organisations existantes.
La CGT va s’entêter dans cette stratégie et scier la branche sur laquelle elle est assise avec la loi sur la représentativité syndicale de 2008. Cette loi est issue d’un accord signé par le Medef, la CGT et la CFDT. Avec cette loi, la représentativité va émaner des élections professionnelles (nationales, branches, entreprises). CGT et CFDT espère ainsi faire le ménage autour d’eux, la perte de représentativité pour les syndicats minoritaires poussant ceux-ci vers l’une de ces deux centrales. En contrepartie, les 5 confédérations syndicales issus de l’après guerre (CGT, CFDT, FO, CFDT, CGC) perdent leur représentativité automatique.
Sauf que les confédérations vont voir leur représentativité compromise dans bien des entreprises. Ainsi FO estime l’avoir perdu dans un tiers des boîtes où elle était présente. L’institutionnalisation du syndicalisme va se renforcer avec les subventions patronales directes et le recentrage de la négociation au niveau des entreprises. La loi Travail va parachever ces tendances, en favorisant également les possibilités de répression syndicale. Il en résulte un affaiblissement global du syndicalisme, et en particulier du syndicalisme de lutte. Incapable de se présenter dans des entreprises où les syndicats patronaux engrangent des voix, la CGT finit par perdre sa place de 1er centrale syndicale en 2018.
Sans être officiellement abandonné, le « syndicalisme rassemblé » disparaît des déclarations confédérales, et l’alliance privilégiée avec la FSU et Solidaires, voire FO, se réalise de fait lors de divers mobilisations, comme contre la loi Travail en 2016 ou la réforme des retraites en 2019. La question de l’unification syndicale se pose ainsi naturellement.
Dans quels secteurs professionnels l’unification est-elle en débat ?
C’est en premier lieu dans l’Éducation nationale que l’unification est en débat. Rappelons que dans ce secteur public, qui regroupent un million de salariés, la FSU fait 35% des voix, la CGT un peu plus de 5% et SUD Éducation un peu moins de 5%.
La FSU porte depuis son exclusion de la FEN l’idée d’un rapprochement avec la CGT et Solidaires. Dans ses textes de congrès de février 2022, on peut ainsi lire : « La FSU confirme […] ses mandats précédents de réunir le syndicalisme de transformation sociale en débattant pour cela avec la CGT et Solidaires des étapes allant dans le sens de la construction d’un nouvel outil syndical, sans exclusive des forces qui seraient intéressées » et « il est nécessaire d’œuvrer à créer les conditions d’une reconstruction et d’une refondation du syndicalisme pour les enjeux à affronter au 21e siècle ». Pour autant, les partisans d’une intégration pure et simple au sein de la CGT restent très minoritaires, contrairement à ce qu’on peut parfois entendre à la CGT.
Le congrès de novembre 2021 de la FERC-CGT (fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture) répond positivement dans son document d’orientation voté à 88 % des voix : « la question du rassemblement du syndicalisme de transformation sociale se pose ». L’Union des syndicats de l’État (UFSE) indique quand à elle que « cet objectif de rassemblement du syndicalisme doit se faire prioritairement avec la FSU et Solidaires, sans pour autant écarter d’emblée d’autres organisations syndicales qui partageraient nos valeurs ou qui souhaiteraient s’associer à un tel processus ».
Enfin, Solidaires écrit dans son document de congrès de février 2022 : « Cette situation inédite pour nos générations nous oblige à réfléchir à l’ensemble des réponses pour faire face, notamment aux liens plus étroits à développer avec les autres syndicats de lutte et de transformation sociale, sans présupposés. Se fédérer, discuter de la possibilité de la recomposition intersyndicale à la base, dans les territoires et les secteurs, ne doit pas être tabou. Il nous faut réfléchir à la façon d’être le plus efficace pour gagner. L’Union syndicale Solidaires ne construira pas des rapprochements seule et nous verrons si d’autres structures souhaitent partager cette démarche ».
Comme on peut le voir, les organisations débattant de l’unification sont pour l’essentiel celles basées dans les grandes entreprises publiques (Éducation nationale, Fonction publique d’État plus généralement) ou para-publiques (SNCF, Poste…). Dans ces entreprises, il existe encore des droits syndicaux, bien qu’ils soient constamment remis en question, c’est ce qui rend possible l’existence de plusieurs syndicats combatifs. L’une des problématiques actuelles dans le syndicalisme est la sur-représentation des travailleurs et des travailleuses de ces entreprises parmi les syndiqués et les instances, souvent en décalage avec la réalité de la majorité du salariat, qui travaillent dans des déserts syndicaux ou dans des entreprises où la répression patronale est féroce et où il n’y a de place que pour un syndicat combatif.
Bien entendu l’implantation syndicale dans ces « bastions » peut être mise au service d’un syndicalisme interprofessionnel. Mais il faut avoir conscience de ce décalage et il pèse en l’occurrence dans ces débats sur l’unification. En effet, la majorité des syndiqués ne connaissant en général qu’un seul syndicat combatif, qui peut aussi bien être affilié à la CGT, qu’à Solidaires, à la FSU, voire à FO, à la CNT ou à la CNT-SO, la question de l’unification les intéresse peu et est souvent vu comme une problématique d’états-majors. Cette impression n’est d’ailleurs pas complètement fausse, puisque pour une partie des dirigeantes et des dirigeantes syndicaux réfléchissant à cette unification, les premiers enjeux se situent en terme de représentativité et de décharges syndicales.
L’unification est-elle souhaitable et est-elle possible ?
La longue histoire des tentatives d’imposer une hégémonie politique sur les organisations syndicales a aussi une conséquence paradoxale. Ainsi le pluralisme syndical est parfois valorisé parce qu’il permet de créer une diversité de pratiques syndicales, parce que dans la situation présente il peut être vécu comme le reflet démocratique des différentes façons de mener la lutte des classes, ou parce qu’il offre une possibilité de choix aux travailleuses et aux travailleurs de rejoindre telle ou telle organisation.
Mais nous constatons que malgré cela la division du syndicalisme de lutte est un frein à l’action collective. Et l’histoire nous montre qu’elle est d’abord le reflet de divisions politiques, notamment du fait de l’hégémonie exercée par les staliniens sur le mouvement ouvrier pendant des années. Or ces divisions ne devraient pas fracturer le mouvement syndical. Nous sommes donc favorables au regroupement du syndicalisme de lutte dans une même confédération, où la pluralité serait garantie par l’existence de tendances syndicales. Nous ne parlons pas ici de « droit de tendance » comme il s’exerce par exemple à la FSU, avec un nombre de sièges dans les organes de direction proportionnel aux voies obtenues lors d’élections internes. En effet nous considérons que c’est aux AG de syndiqués, hommes et femmes, de déterminer la ligne du syndicat, et non pas à des tendances. Nous parlons plutôt de regroupements partageant une même orientation et permettant de faire avancer la réflexion collective du syndicat dans le débat d’idées.
Cependant, si nous sommes favorables à la perspective d’une réunification du syndicalisme de lutte, il faut être lucide sur une telle possibilité à court et même moyen terme. En effet, nous voulons éviter une unification « par en haut », entre bureaucrates se répartissant des décharges. Pour cela il faut que les syndiqués se saisissent de ce sujet, or ils et elles interagissent peu avec les militants d’autres organisations, à part dans certaines grosses entreprises du secteur public comme l’Éducation nationale (et encore). D’autre part, dans certaines entreprises (Poste, SNCF) la division syndicale est la conséquence du sectarisme de la CGT hérité du stalinisme, sectarisme avec lequel il faudra rompre avant d’envisager un quelconque rapprochement.
Une telle unification devrait avant tout servir à surmonter le défi majeur du syndicalisme d’aujourd’hui : l’organisation des travailleurs et des travailleuses dans les déserts syndicaux et dans les entreprises structurant la production. Elle passe donc part une mutualisation des forces interprofessionnelles pour s’adresser à elles et eux. L’angle actuellement pris d’une intervention commune avec les autres syndicats, voire les associations et partis, sur les questions sociétales, comme avec le collectif Plus jamais ça, ne répond pas à cet enjeu.
On pense plutôt ici à des distributions communes en direction des travailleurs et des travailleuses de ces entreprises lors de journées d’action, au soutien à des entreprises en lutte, à des interventions communes dans les mobilisations sociales (une occasion a par exemple été manquée avec les Gilets jaunes), à l’organisation de certaines catégories de travailleurs (sans papiers, livreurs et livreuses), à l’organisation d’évènements de sociabilité dans les bourses du travail (formations syndicales, projections de films, barbecues post-manifestations) etc. Là où le bas blesse, c’est évidemment que l’interprofessionnel est en réelle difficulté aujourd’hui.
Cette question de l’unification nous renvoie donc aux difficultés rencontrées dans l’intervention syndicale de chaque organisation. Brandir l’unification syndicale comme une solution à tous nos problèmes serait en ce sens une erreur. Il faut aller vers cette perspective, tout en restant lucide sur la temporalité à laquelle on pourrait y arriver.