Internationalisme : Turquie, Russie, même expansionnisme, même combat !

Internationalisme : Turquie, Russie, même expansionnisme, même combat !

Dans un communiqué publié jeudi 26 mai, Erdogan a annoncé la reprise des « opérations existantes et nouvelles à mener visent à débarrasser nos frontières sud de la menace terroriste ». L’enjeu est la prise de Kobané, ville historique des Kurdes syriens. Le parallèle avec l’opération spéciale de Poutine est évident. Une mobilisation internationale en soutien à la gauche kurde est urgent.

La Turquie s’apprête à lancer une nouvelle opération militaire au nord de la Syrie. Aucune date n’a été communiquée, mais la décision semble bien avoir été prise. Erdogan est confronté à une grogne sociale qui monte face à l’appauvrissement massif de la population par une inflation à 70 %. Et il entend profiter de la guerre en Ukraine, parce que son partenaire-concurrent russe en Syrie a d’autres chats à fouetter et qu’il compte bien n’être gêné par aucune opposition occidentale concrète face à cette nouvelle « opération spéciale turque ». Son jeu autour de ses velléités à bloquer l’adhésion de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN est bien là pour le démontrer.

Car il s’agit bien là d’annexer dans les faits une nouvelle partie de la Syrie, après l’invasion en janvier 2018 de la ville d’Afrin, puis en octobre 2019 des villes syriennes de Tall Abyad et Ras Al-Aïn. Pour Erdogan « il faut finir ce qui a été commencé » et prolonger la « zone de sécurité », profonde de 30 kilomètres au nord de la Syrie, conquise par l’armée turque et les milices islamiques recrutées au sein des exilés syriens en Turquie.

Kobané c’est cette ville où les combattants kurdes syriens YPG (en kurde : Unités de protection du peuple) ont remporté une grande victoire annonciatrice de la déroute militaire de Daech. Elle risque de faire les frais des difficultés politiques internes d’Erdogan. Car celui-ci compte raviver le sentiment nationaliste de l’électorat et renflouer du même coup sa popularité déclinante à un an de l’élection présidentielle en Turquie. Peu importe à Erdogan que la déstabilisation des kurdes syriens risque de favoriser la renaissance de Daech, organisation qui dispose de cellules dormantes et de « centres logistiques pour son financement » sur le sol turc, selon un rapport du Trésor américain daté de janvier 2021.

Turquie, Russie, deux régimes liés par une même idéologie d’extrême-droite.

Les régimes actuellement au pouvoir en Turquie et en Russie ont certes quelques différences. En particulier le processus totalitaire est bien plus avancé en Russie où l’invasion de l’Ukraine est l’outil utilisé pour terminer l’écrasement de toute opposition politique et de toute liberté de la presse. Une victoire d’Erdogan à la présidentielle de juin 2023, sur fond d’expansionnisme militaire, laisserait augurer un même processus d’écrasement de toute liberté et de toute opposition en Turquie.

Car les régimes de Poutine et d’Erdogan ont en commun de multiples caractéristiques. Les deux s’appuient sur une religion officielle bénéficiant de toutes les faveurs. Orthodoxes d’un coté, sunnites de l’autre, ne font jamais défaut pour soutenir le pouvoir qui les chérit tant. Les deux régimes s’appuient aussi sur un système militaro-industriel hypertrophié au sein de populations qui s’appauvrissent.

Dans les deux pays, le système judiciaire est aux bottes du pouvoir et violent allègrement toutes les dispositions légales pour emprisonner les opposants et les opposantes politiques. Les assassinats politiques font régulièrement partie de la politique répressive des deux pays, et jamais le système judiciaire ne fourre son nez dans ces sales affaires.

Les deux régimes sont sans doute concurrents, mais ils ont trop d’intérêts communs pour ne pas chercher à se soutenir mutuellement. De plus, l’alliance de ces deux régimes avec la Chine vise à construire un véritable front des régimes totalitaires. Cette alliance est affirmée avec force entre la Chine et la Russie. Mais elle n’en est pas moins réelle entre Chine et Turquie avec le déploiement des « Nouvelles routes de la soie » chinoises et ses promesses de couvrir les besoins colossaux d’investissements et de financements de la Turquie. A ce titre la signature d’un traité commun d’extradition démontre la dimension répressive de cette coopération.

La gauche kurde incarne un espoir politique pour toute la région

Face à la Turquie d’Erdogan, la gauche kurde incarne un espoir, bien au-delà de son rôle de rempart face aux atrocités djihadistes. Dans les zones qu’elle contrôle en Syrie, elle a favorisé l’essor d’une contre-société sur des bases laïques, sociales et démocratiques et en promouvant une véritable égalité entre les hommes et les femmes.

Les cantons de Djézireh, de Kobané et d’Afrine se sont dès 2014 dotés d’une structure administrative fédérale regroupant les délégués des « conseils populaires », élus par les assemblées de communes. La fédération est chargée des commissions pour la défense, la santé, l’éducation, le travail et les affaires sociales. Chaque conseil gère les ressources agricoles et énergétiques de manière autonome, coopérative et écologique.

En janvier 2014, le Rojava s’est doté d’un Contrat social, qui fait office de constitution. Celui-ci « rejette le nationalisme et prône une société égalitaire, paritaire, respectueuse des droits des minorités ». Ce contrat est porteur d’un projet d’émancipation des femmes. L’organisation politique impose qu’il y ait au moins 40 % de femmes dans les nouvelles institutions.

Le Rojava est depuis sa création soumis à une situation de guerre, avec en face de lui, le régime dictatorial syrien, Daech, la Turquie… Cette situation crée évidemment des contradictions et pose des obstacles à la réalisation de son projet émancipateur. C’est toutefois un espoir réel au sein d’un Moyen-Orient dominé par des régimes autoritaires, rétrogrades et patriarcaux.

L’agression turque qui se prépare contre Kobané doit bien entendu être dénoncée. Mais il faut faire plus. Il faut commencer dès maintenant à organiser la solidarité avec la résistance de la gauche kurde face à l’expansionnisme turc.