Ecologie : Mégabassines, l’appropriation de l’eau, un enjeu capitaliste.

Ecologie : Mégabassines, l’appropriation de l’eau, un enjeu capitaliste.

Le changement climatique va avoir de multiples conséquences, avec par exemple la multiplication de sécheresses chroniques dans un pays où l’eau a longtemps été considérée comme une ressource illimitée. L’eau devient ainsi un enjeu politique et économique. La multiplication des mégabassines s’inscrit clairement dans la logique capitaliste, et dans l’appropriation des richesses par une minorité, au détriment des besoins fondamentaux de l’ensemble de la population … et de la biodiversité.

Selon Météo France « La France subit une sécheresse météorologique préoccupante ». « Depuis août 2021, tous les mois sont déficitaires en pluie à l’exception de décembre 2021, juin 2022 et septembre 2022 ». Cette rareté de précipitations compromet le rétablissement des nappes phréatiques, épuisées par la sécheresse historique de l’an dernier.

Le constat de Météo France est sans appel. « Le mois de février 2023 devrait se terminer avec un déficit pluviométrique de plus de 50 %, devenant ainsi l’un des mois de février les plus secs jamais enregistrés depuis le début des mesures en 1959 ».

De plus, ce déficit chronique se poursuit après des canicules et une sécheresse des sols exceptionnelles à l’été 2022, autres symptômes du changement climatique. La quasi-totalité des départements métropolitains avaient été placés en alerte sécheresse, avec des restrictions d’eau pour arroser, irriguer ou laver sa voiture. Cette réalité illustre indéniablement les prévisions des experts de l’ONU sur le réchauffement climatique lié aux activités humaines.

Aujourd’hui, le rechargement les nappes est en retard. En janvier, le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) se disait déjà « assez pessimiste » sur la disponibilité l’été prochain de l’eau souterraine, qui fournit deux tiers de l’eau potable et un tiers de l’irrigation agricole. Si la pluie est aussi rare en 2023, « on arrivera à une situation bien pire que celle qu’on a connue en fin d’été 2022 ». Dans certains départements, tels les Pyrénées-Orientales, la sécheresse sévit d’ailleurs sans discontinuer depuis juin 2022, favorisant des incendies à répétition en plein hiver.

Le volume moyen de la ressource en eau renouvelable – ce qui est apporté par les cours d’eau et les précipitations qui ne retournent pas à l’atmosphère – a diminué de 14 % sur la dernière décennie comparée à la précédente. Que la France soit de plus en plus exposée aux phénomènes de sécheresse fait peu de doute. De fait, à l’exception de l’année 2021, l’indicateur de sécheresse des sols a d’ailleurs atteint chaque été un nouveau record depuis 2018.

Arnaque autour des mégabassines

C’est précisément dans ce contexte qu’apparaissent les projets de mégabassines, ces retenues d’eau géantes, dont la taille peut atteindre 10 hectares, qui doivent permettre d’irriguer les cultures les plus exigeantes en eau, telle celle du maïs, pendant les sécheresses estivales.

La caractéristique d’une mégabassine c’est de ne pas être alimentée par l’eau de pluie et de ruissellement mais par pompage dans les nappes phréatiques, ce qui les distingue des retenues collinaires. Ces bassines sont censées être rechargées en hiver, lorsque l’eau est plus abondante. Ainsi, dans le département des Deux-Sèvres, seize projets ont été validés par les pouvoirs publics, sur la base d’un rapport commandé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Et sur l’ensemble de l’ancienne région Poitou-Charentes, il a été dénombré quatre-vingt-treize nouveaux projets de mégabassines.

Pourtant, une étude menée par l’hydrogéologue Anne-Morwenn Pastier « interroge la pertinence du modèle utilisé par le Bureau de recherches géologiques et minières » (Le Monde – 2 février 2023).

Nous n’allons pas entrer ici dans une discussion d’experts qui sort totalement de notre compétence. Toutefois, un élément saute aux yeux et ne relève pas de ce débat, mais de l’utilisation – que l’on est en droit de qualifier de frauduleuse – de ce rapport par les pouvoirs publics. Le rapport a été établi, conformément aux demandes qui ont été faites au BRGM, en prenant comme période de référence la décennie 2000-2011, et sans chercher à intégrer les effets du changement climatique.

Les experts du BRGM déduisent de leurs travaux que l’état de la ressource dans le bassin de la Sèvre niortaise aurait permis de les remplir à 100 % durant cette décennie-là, sauf à l’hiver 2004-2005 – extrêmement sec – et à la saison suivante. « Mais quels seraient les résultats en prenant pour référence la décennie suivante, avec ses records de chaleur à répétition » ?

Dans le contexte climatique prévisible pour les décennies à venir, ces projets de mégabassines vont mécaniquement avoir des conséquences dramatiques. Car une fois construites, nous ne doutons pas qu’elles seront remplies, pompant dans les nappes phréatiques de l’eau qui manquera cruellement pour les autres usages, en commençant par les autres agriculteurs et par la consommation d’eau potable. Cela accentuera encore plus les sécheresses subies par tous les écosystèmes de la région.

La Confédération Paysanne dénonce des projets « qui favorisent l’agriculture intensive », à rebours de « l’urgence écologique ». Rappelons qu’officiellement les 16 projets dans le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon sont censés bénéficier à 5 % seulement des agriculteurs locaux.

Derrière les bassines, ce sont de gros acteurs qui investissent beaucoup d’argent pour sécuriser leur capital. C’est un type de développement qui vise la maximisation de l’exploitation et déconsidère les petits producteurs qui ne vont pas dans le sens du « progrès ».Ainsi, une poignée d’industriels de l’agriculture mettent en œuvre un hold-up sur une richesse de plus en plus rare et indispensable à la vie, en bénéficiant du soutien et de la protection des pouvoirs publics.

Des enquêtes publiques qui visent à tromper le public.

C’est dans ce contexte que se profilent les « conflits d’usage », c’est-à-dire des tensions entre les besoins en eau de l’agriculture, de la production d’hydroélectricité dans les barrages, des loisirs (golf, canoë, etc.) ou encore de la santé des écosystèmes.

Les enquêtes d’utilité publiques sont censées être là pour permettre d’arbitrer de tels conflits potentiels. Dans la réalité ces enquêtes permettent surtout, par exemple au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, d’affirmer « lorsque les autorisations ont été données, lorsque la justice a donné son avis, le travail des gendarmes, c’est de faire respecter cet ordre républicain ».

Mais il n’est pas difficile de constater que les enquêtes publiques et les autorisations gouvernementales, ouvrant la voie à des aménagements comme celui des mégabassines, sont fortement biaisées. Ainsi, à chaque enquête, on ouvre un registre et n’importe qui peut intervenir. Mais qu’en fait-on ? On le referme et on ne tient pas compte de ce que les gens ont écrit. L’enquête publique devient un outil pour tenter de refermer la critique.

Cela a encore été le cas de la consultation publique menée en 2017 pour ces retenues deux-sévriennes pompant l’eau dans les nappes phréatiques. Une écrasante majorité des avis exprimés étaient négatifs. Cela n’a pas empêché l’État d’autoriser les projets. Aussi, à partir du moment où les arguments qui vont à l’encontre du projet sont systématiquement écartés par la procédure, la question se pose des moyens d’action pour faire face à un projet injuste pour une partie des locaux et dangereux pour l’environnement.

L’État ne laisse en fait que deux alternatives à la population : soit accepter l’inacceptable, c’est à dire la prééminence de la loi du plus fort. Soit de sortir du cadre légal précisément parce que le cadre légal défend quelque chose d’injuste : des privilèges pour une poignée d’agriculteurs industriels.

Nous sommes face à un enjeu collectif majeur. Pourtant l’argent public est sciemment mis au service d’intérêts particuliers. Et l’État privilégie, de fait, les passe-droits dans un secteur comme l’irrigation agricole représentant 48 % de la consommation d’eau et qui constitue donc un des principaux leviers pour préserver la ressource hydraulique. Et enfin un consensus scientifique propose de privilégier les solutions telles l’implantation de nouvelles variétés et de nouvelles espèces plus résistantes au manque d’eau, ainsi que par des méthodes de culture plus soucieuses de la conservation des sols.

Face à cela, voir le gouvernement défendre les intérêts particulier d’une infime minorité d’agro-capitalistes, incite à rappeler l’article 35 de la constitution de 1793 : «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Contre l’individualisme capitaliste, la naissance de luttes prônant la solidarité.

Depuis cinq ans, la lutte contre les mégabassines s’organise. Le 6 novembre 2021, 3 000 personnes se sont rassemblées à Mauzé-sur-le-Mignon, commune de 2 800 habitants, là où une première retenue a été mise en service. Malgré une interdiction, décrétée par la préfecture, de défiler et d’accéder aux zones des bassines, malgré les survols d’hélicoptères et les jets de lacrymogènes, la manifestation se tient. Les manifestants réussissent à franchir la clôture. La bâche qui tapisse la cavité est lacérée et sa pompe démontée, afin de mettre cette « bassine » hors d’usage.

Autre étape importante, le 23 février 2022 s’est tenu un nouveau rassemblement à l’initiative du collectif « Bassines non merci » (BNM) et de la Confédération paysanne. Il s’agissait de sortir d’une lutte locale pour lancer le débat au niveau national, sur la question de l’eau et de sa gestion, bien sûr, mais plus encore sur le modèle agricole français.

Le second projet prévu, cette fois à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, a déclenché de nouvelles manifestations. Celle des 29 et 30 octobre 2022 a été marquée par leur radicalité et leur ampleur, parvenant à obtenir une suspension toute provisoire du chantier de Sainte-Soline. Car le souvenir de la victoire contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, est dans toutes les mémoires. Initiée par des paysans, des naturalistes, des riverains, cette victoire a pu être obtenue grâce à la diversité et la complémentarité des méthodes de lutte et à l’ancrage d’opposants sur des terrains de lutte. La dynamique qui s’est ainsi créée a donné une dimension nationale à ce combat.

C’est sur ces bases que se développe maintenant le mouvement contre les mégabassines. En un an, la lutte est montée crescendo avec quatre grandes « manif’actions ». Devant l’avancée rapide des travaux et après l’épuisement ou face à la lenteur des recours juridiques, les opposants aux mégabassines n’hésitent pas à franchir le cap de l’illégalité. Les militants ont assumé collectivement le rapport de force, jusqu’à bloquer physiquement des travaux, saboter des engins de chantier. Si ces actions ont forcément créé du remous, elles ont aussi montré la capacité du mouvement à peser sur le déroulement des travaux, tout en restant soudés, malgré les tensions et la répression.

La lutte veut donner la place à chacun et à chacune : les ONG, les collectifs autonomes, les associations écologistes, les paysans, les politiques et les syndicats, pour bâtir un front commun solide. Selon Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne, « Il y a une vraie volonté de faire commun. C’est une agréable surprise. On se respecte. On a appris au fil des années à mieux se connaître pour éviter de tomber dans les scléroses identitaires. On a créé les bases d’un mouvement accueillant et ouvert ».

Ainsi, lors de la manifestation du 25 mars 2022, une marche familiale avec un convoi de tracteurs s’est déroulée en parallèle à une émeute rurale et à des sabotages, avec le soir un grand banquet paysan et un festival.

Manifestation nationale contre les mégabassines les 25 et 26 mars 2023.

Avec la mobilisation historique de Sainte-Soline, c’est face à l’ensemble du pays qu’ont été révélés les enjeux de l’accaparement de l’eau par une minorité d’irrigants, alors que la sécheresse tend à devenir régulière. Face à la détermination et au nombre chaque fois croissant de manifestants et de manifestantes, le gouvernement n’a pour l’instant pour seule réponse que d’interdire, réprimer et annoncer à l’arrachée 30 nouvelles mégabassines dans la Vienne. Mais de toutes parts, le dispositif bassine et ses protocoles prennent l’eau. Une partie croissante du monde paysan, comme des scientifiques, le rejettent de plus en plus ouvertement.

Tant que les chantiers continuent, tant que le gouvernement, inféodé aux lobbys et multinationales de l’agrochimie se refuse à un moratoire, tant que la question du partage de l’eau ne sera pas remise au cœur du débat, le mouvement va devoir encore se renforcer.

Aussi, à l’appel de « Bassines Non Merci », des « Soulèvements de la Terre », de la Confédération Paysanne et de plus de 150 organisations, associations et syndicats, le mouvement anti-bassines appelle à une manifestation nationale et internationale le 25 mars 2023 pour « faire primer la mise en commun et la solidarité » et pour « impacter concrètement les projets de bassines et leur construction, à Sainte-Soline, Mauzé-sur-le-Mignon ou ailleurs ».

Au programme :

Vendredi 24 : Débat et tables rondes, en particulier sur les luttes paysannes pour les terres avec la Via Campesina et la Confédération Paysanne, avec des participations internationales d’association pour le droit à l’eau.

Samedi 25 : 10h – manifestation et Soirée – concerts, et festivités.

Dimanche 26 : Le rassemblement se prolonge avec entre autres

  • Le matin : Assemblée des comités locaux ; Assemblée de convergence « fin du monde fin du mois – même combat » avec des syndicalistes Solidaires et CGT.
  • L’après midi : Big Choeur inter-chorales – Débats autour des luttes pour le partage de l’eau – Projection du film « Notre Terre mourra proprement ».
  • Et le soir : un concert.

Les rendez-vous précis de manifestation seront précisés sur https://bassinesnonmerci.fr/